L'enfant volée par une dame-vampire

    Encore une fois, je regrette d'avoir utilisé tous mes superlatifs pour mes chroniques précédentes, qu'assidûment dévorent une demi-douzaine de lectrices maraboutées.

J'aurais dû garder quelques adjectifs extravagants pour ce livre-ci : je viens de faire une lecture inoubliable. Signe qui ne trompe pas : j'ai relu cet ouvrage avec grand plaisir, uniquement pour écrire cette chronique.

200 pages, et l'intrigue est mince : à Barcelone, vers le début du XXème siècle, a vécu une femme qui enlevait et tuait des enfants ; elle attire chez elle une petite fille, prétend être sa mère, et la garde enfermée. Elle songe à la proposer à de vieux pervers qui devraient la violer sous toutes les coutures, puis la tuer et la manger.

Cette femme a réellement existé : Enriqueta Marti i Ripollès a vraiment enlevé des enfants à Barcelone, vingt-cinq ans avant la guerre civile. Elle a été condamnée à mort pour rapt, prostitution et dégustation d'enfants.

Ce récit habilement basé sur des faits réels s'apparente donc au conte fantastique, mais aussi à une sorte de journal des pensées et des rêves de la petite Milagros, baptisée Angelita par sa ravisseuse. La fillette, obnubilée par ce que lui dit cette « méchante sorcière », veut croire qu'elle est son enfant ; loin de se fier à la réalité qu'elle connaît, elle va suivre cette femme criminelle dans tous ses délires ; tantôt rebelle, tantôt docile, Milagros devient Angelita, se découvre un « frère » – un gamin enlevé comme elle – et va mendier dehors avec la femme-vampire, laquelle se déguise en princesse afin d'accueillir ses clients pédophiles ou amateurs de jeune viande.

Roman ahurissant donc, assez terrifiant, et qui sombrerait dans le grand-guignol s'il n'y avait pas le génie de Claudio Cerdán, son style simple et matois, sa poésie, ses ruses...

L'auteur est jeune, méconnu, et grand. Il mérite d'être immédiatement classé parmi les génies de la littérature européenne actuelle. Son roman est prenant, captivant, bien écrit, amusant, insolite, hallucinant, et pas un instant on ne s'ennuie : c'est un miracle de fluidité. Le fait qu'il ait été intelligemment traduit par l'éditrice, la remarquable Esther Merino, rend ce récit souple comme un serpent. Les rêves de la petite fille, son recours incessant aux contes, à un univers de dentelles et merveilles, tous les artifices qu'elle tisse afin de ne pas appréhender ces meurtres, mais aussi le courage qui lui vient lorsqu'elle veut ouvrir des portes interdites et closes, tout cela est fascinant. Voici la gamine explorant leur prison avec son « frère » :

« Ils s'avancèrent dans la chambre sans faire le moindre bruit. Ils trouvèrent les vêtements de clocharde, à moitié cachés sous le lit, que leur maman avait portés la journée. Sur un portemanteau en acajou poli, deux perruques blondes étaient suspendues, mais elles étaient bien petites pour pouvoir être portées par une adulte. Ils avancèrent jusqu'aux rideaux en voilages d'une fenêtre. À leur surprise, celle-ci était murée. Par contre, derrière d'autres rideaux, ils trouvèrent une porte métallique avec une clé dans la serrure. Quelque chose derrière dégageait une forte odeur de pourriture.

  • C'est une princesse, dit enfin la petite en regardant tout autour d'elle. Je t'avais dit que maman était une...

  • Allons-nous en, dit Juanfer, blême. »

Bien entendu, on se prend à espérer que la fillette en sorte vivante, retrouve son père, voire une mère peut-être, une vraie...?

Et à la fin de notre lecture, ébahis, fascinés, l'auteur réussit ce miracle de nous offrir une fin à laquelle nous ne nous attendions pas.

C'est pourquoi, constatant que ses autres romans ne sont pas encore traduits, je vais aller partout exiger qu'on édite et continue de traduire Claudio Cerdán. Peut-être chez ce nouvel éditeur, Sol y Lune, qui vient de publier ce chef-d'œuvre ? Ce serait drôlement bien !

D'autant qu'il y a encore une cerise sur le gâteau : enrobé dans une jolie couverture, composé avec une typographie originale, ce livre est agréable à tenir en mains, en plus d'être un délice à la lecture.


Claudio Cerdán, La Maison en chocolat, Sol y lune éditions, 203 pages. 17 €.


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