L’homme qui marchait avec moi : Claude Margat réinvente l'art de la promenade

Peut-on aspirer au bonheur sans être libre ? Mais cette liberté, existe-t-elle une, entière, exempte de tout attachement ou n’est-elle qu’un pis-aller pour atténuer la frustration de nos vies d’esclaves entravés par un système aliénant ? Il y avait deux conceptions de l’esprit libertaire qui habitent le narrateur et le professeur d’art plastique avec qui il prit l’habitude de faire de longues promenades. Si le comportement libertaire résultait, chez lui, d’une réaction épidermique et instinctive aux situations oppressantes procédait plutôt, chez le professeur, de l’intelligence et du discernement. On devinera le jeu de ping-pong verbal qui va animer les deux hommes au fil des marches, des mois, des années, tissant dans la conversation une solide est indestructible amitié. Laquelle parviendra à surmonter une réalité compliquée du côté du professeur qui succombera au démon de l’amour interdit en ayant une relation avec l’une de ses élèves qui, si elle en paraissait dix-huit, n’en avait pas moins quinze printemps tout juste.

 

Roman nostalgique ou roman de la sagesse comme il y a des romans d’apprentissage, ce récit précis de rapports impossibles donne une photographie d’instantanés où, au détour d’une phrase, l’histoire d’une vie s’enracine dans un mot, une image, une posture. Si le temps passe, les mots restent imprimés pour que le vent nous aide à pousser la page suivante, sans les chasser vers un impossible exil.

 

Puisque le territoire réel d’un homme se situe partout où le porte ses jambes et la distance de son regard, nos deux héros poussent même le paradoxe jusqu’à élargir le champ de leur ballade en Inde, prétexte à jouer l’autruche quand la situation se complique. Mais au retour, la femme et la maîtresse du professeur n’en sont pas moins alliées pour lui mener une vie infernale. L’amour sèmera finalement plus de dévastation qu’autre chose, raison pour laquelle le narrateur se garde bien de demeurer célibataire, et de tenter de mener sa vie loin des récifs du sentimentalisme. Observateur impénitent, il nargue le destin en demeurant hors du système, vivotant de petits boulots mais demeurant libre, intègre, en accord avec lui-même. De la vie en somme, nous ne connaîtrons que la fantôme, tandis que la langue toujours prompte à colmater l’inguérissable blessure du manque ferait le reste. La langue, la buée qui sert de combustible au monologue des fous.

 

Fou le professeur qui après une longue rupture, recouvre son amante, mariée et mère de deux jeunes enfants, mais continue à se consumer pour elle, et elle aussi, si bien que les rendez-vous cachés reprennent car il est toujours hors de question de socialiser cet amour. Il doit être vécu dans l’exceptionnel, l’aléatoire, l’instable, l’intense !

 

Comme un retour de balancier, le corps ne le supportera pas indéfiniment et les nerfs coronariens céderont, mettant en péril le bon fonctionnement du cœur, et le professeur s’éteindra au fil des mois, comme une pomme se fane, sous le regard impuissant de son ami. Plus près du soleil, trop près sans doute : la passion amoureuse en vaut-elle ce prix ?

 

Envoûtant roman qui se déplie dans l’inconscient du lecteur en lui proposant une ballade du pendu d’un nouveau genre. Où la dépendance amoureuse est au-delà de la catharsis et devient une gangrène lancée à cent à l’heure qui dévore tout sur son passage.

 

François Xavier

 

Claude Margat, L’homme qui marchait avec moi, Éditions de la Différence, mai 2014, 144 p. – 16,00 €

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