Premier volet d’une trilogie : "Mon nom est Dieu", un roman de Pia Petersen
Morgane Latour, jeune journaliste
d’origine française à Los Angeles Examiner, fait une rencontre
inattendue : à l’occasion du concours du meilleur Père Noël, organisé par
la société Disney à Concert Hall, somptueuse salle de la ville, elle fait la
connaissance d’un homme qui, devant le parterre de bienfaiteurs réunis pour
l’occasion, prétend ni plus ni moins être le Bon Dieu en personne.
Loin de l’hilarité générale, la jeune femme lui explique, lors d’une discussion privée dont elle bénéficie à la fin de la soirée, que des personnes comme lui «qui ne sont pas dévorées d’ambition» et surtout capables de «s’affranchir de la réussite à tout prix et de revenir à quelques chose de plus humain» l’intéressent beaucoup. Surtout qu’elle est en train de mener une enquête sur Lester Jansen, psychanalyste de renom, fondateur d’une église, semblable à une secte, qui aiderait les gens à découvrir les capacités et la vocation nécessaires à leur rencontre avec la divinité. Son travail de journaliste sur la secte de Jansen ayant été perturbé par la rencontre avec l’homme aux airs de Père Noël, il ne reste à Morgane que de se rendre à la nouvelle évidence qui est celle de répondre à l'injonction de ce dernier d’écrire sa biographie. Sauf qu’écrire la biographie de Dieu, surtout lorsqu’on proclame, comme elle ose le faire, ne pas avoir la foi, n’est pas chose facile.
Nous voici arrivés au cœur de l’intrigue du livre de Pia Petersen. L’entreprise s’avère difficile surtout lorsque son héroïne avoue, comme nous le disions plus haut, son ignorance voire sa distance par rapport aux questions liées aux fondements conventionnels de la foi. Pour elle, la Bible est «un roman magnifique, une œuvre de fiction», l’Ancien Testament «un ouvrage collectif» et «les histoires de Dieu» des choses compliquées suspendues entre mythes et traditions en perte de sens dans les mentalités du monde d’aujourd’hui dépourvu de garde-fou, comme elle aime le décrire. Signalons qu’elle ne prétend nullement à rédiger un traité d’histoire des religions ni un concentré de règles d’une nouvelle doctrine religieuse, encore moins une somme théologique. Son ambition consiste à résoudre avec les moyens de la littérature cette énigme liée à la relation du monde contemporain avec l’image que celui-ci a de celui que nous nommons communément Dieu, en optant pour la liberté et le moyens de l’invention romanesque.
Pour cela,
elle place l’action sur la côte ouest des États Unis et nous propose une enquête journalistique
qui soutient la trame narrative et rappelle le suspens des séries télévisées, tout en poursuivant
un schéma proche de celui du scénario cinématographique où volets successifs et
intrigue appuyée conduisent à une accélération des plans cherchant leur
justification dans un dénouement deviné et annoncé à l’avance.
Toutes ses caractéristiques font du Mon nom est Dieu un roman d’action réussi qui n’hésite en revanche à poser des questions pertinentes sur la perte des repères culturels et spirituels du monde contemporains. L’idée d’enfermer Dieu dans une image anthropologique réductrice est sans doute proche de celle trop connue de la mythologie. Le fait de faire de lui un homme – certes, avec beaucoup de charisme, «un je-ne-sais-quoi qui le sauve d’être complétement banal» –, a ses risques et ses avantages.
Parmi ceux-là, il y a d’abord, ceux qui obligent la narratrice à
affronter beaucoup de clichés extraits de l’arsenal très riche de la mythologie greco-romaine
ou de celui des idées reçues des cercles évangéliques ou New Age américains. Ce
recours lui donne en revanche l’occasion de peindre en couleurs volontairement réalistes tous
ces rapports compliqués que le monde entretient avec l’image de Dieu et oblige
les protagonistes à se positionner selon des valeurs qui tiennent plutôt du
domaine de l’éthique et de la morale – justice, mensonge, manipulation,
profite, etc. – que de celui de la théologie ou de la gnoséologie.
D’autre part, Pia Petersen
ouvre à ses personnages la possibilité de dévoiler toute leur humanité, en
utilisant une double perspective, d’abord celle du questionnement existentiel en général
et ensuite celui concernant la recherche personnelle nécessairement liée à la
recherche implicite de soi. C’est justement le cas de Morgane pour qui l’enquête
qu’elle mène au début du roman aboutit inexorablement à une quête de sens dont
il faut, sans doute, mesurer l’ampleur, tant sa réserve est grande tout au long
de son histoire mais qui, au fond, rejoint les questionnements de toute l’humanité, y compris la nôtre,
sur ces éternels problèmes.
Au fond, cette journaliste, partie à la recherche du sensationnel et du scoop, finira par comprendre l’ampleur de la rupture entre cette quête et les manipulations dont des gens comme Jansen sont capables de profiter pour manipuler les foules. À tel point qu’il va finir par embarquer dans cette aventure même ce Dieu en habits d’homme, victime du mimétisme facile qui le pousse à se laisser entrainer dans la manipulation sectaire d’un personnage qui cherche à gagner la confiance et la gloire du bas monde.
En effet, Jansen réussira à enrôler ce prétendu Dieu dans ces
projets de conquête des âmes jusqu’au moment où Morgane réussira à déjouer ses
plans visant à manipuler en grand nombre les membres de son église-secte.
Est-ce pour cela une victoire de la raison contre celle de la naïveté et de la
confusion générale de la multitude qui suit en si grand nombre et avec autant
de ferveur ce faux prophète que représente Jansen ?
Nul ne le sait, pour
le moment. Il faudra lire le roman de Pia Petersen et attendre patiemment la suite
de ce roman passionnant avec lequel elle ouvre sa série sur Dieu afin de
bouleverser nos interrogations et pousser dans leurs retranchements nos
certitudes.
Et si ce roman rajoute encore son
lot de doutes ou de certitudes aux consciences des lecteurs contemporains, il
invite en échange tous ceux qui acceptent d’accompagner Morgane dans son
enquête à se positionner entre le regard lucide et personnel et la tentation
sectaire et intégriste qui menace tant de consciences de nos semblables d'aujourd’hui.
C’est en cela que le pari de Pia
Petersen prend toute sa valeur, en nous invitant à regarder les réalités de la
foi avec une juste distance et à faire la part des choses dans ce monde de fausses images et pompeuses représentations.
En attendant la suite de cette série qui s’annonce captivante, prenons le
temps de savourer ce premier volet qui est en lui-même un roman tout simplement passionnant et très bien écrit.
Dan Burcea
Pia Petersen, Mon nom est Dieu, Éditions Plon, 2014, 263 p. 18 euros
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