Alice Cohen : Changer le monde

En deux longues nouvelles (ou deux petits romans ?) à l’écriture limpide et dégagée de toutes fioritures Alice Cohen invente tout ce qui devient « un beau rêve de pierre sorti des limbes » qui tente de lutter contre les cauchemars et des deuils par la force de ce qui tient d’une sorte de légende en fidélité à une judéité qui bouleverse parce qu’elle n’est pas croyance mais fidélité à l’être et contre les manigances que ce dernier subit.  Entre poésie au ras du réel et récit fantastique se déploie une prose tellurique. Le plus souvent les deux nouvelles se font behaviouristes sans pour autant oser des impudeurs inopportunes.  Le corps féminin est à la fois objet de culte et de mépris, d’amour et de violence là où la femme garde non seulement sa dignité mais sa force au nom qu’un Golem disparut apprit : « Aime ».

 

A travers le visage de la Cahena du premier texte  et l’ombre du vieillard du second la narration  s’agrippe  à ce verbe. Visuels ces deux textes ouvrent à des problématiques existentielles voire intrinsèquement politiques où les notions de joug et de liberté sont essentielles. Les concepts de don, de largesse, de calcul et probité sont revisités dans une langue qui se dispense d’une position libérale (cette nouvelle déclinaison de l’humanisme) afin d’ouvrir le monde comme la fiction à une échancrure qui est autant blessure que rédemption.

 

La beauté sans concession de la nature comme  celle de Prague offrent un contrepoint à deux récits d’appel à la fraternité. La femme (des mères anéanties aux filles plus sereines) reste à travers ses déclinaisons celle qui pourra(it) sauver l’humanité au sein d’épopée guerrières et « domestiques ». L’auteure pour la magnifier devient semblable à « la fillette sérieuse et appliquée brandissant son crayon comme arme de poing à retardement ». Elle le plante avec modèle la princesse berbère qui jette une bouteille dans une mer de sable. Elle devient en symbole des luttes contre l’oubli une flèche d’audace « scellée pour toujours d’un sourire énigmatique à peine ébauché ». Ce pâle sourire traverse les deux nouvelles pour donner un nouveau sens aux mots de Michaux : « Au commencement la répétition ».

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Alice Cohen, Légendes de sable, Les Editions de Panthéon, Paris, 80 pages, 10,80 €.


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