Serge Airoldi : le centre et son absence

Dans ce texte tout ce qui est, d'un côté, pure conceptualisation, de l'autre, allégorie ou symbole est rejeté par l'auteur. Au sein de ses  fragments sont proscrits non seulement les perspectives baudelairiennes mais aussi le scepticisme distingué. Airoldi nous situe au delà de telle posture en faisant la transmutation du cerveau de Bartleby dans la nôtre et son insula.

Exit toutes manières marmoréennes tout comme des  choses vues d'après nature. Nous sommes projetés loin des ineffables gamineries dont se suffisent tant d'auteurs. Airoldi ne sollicite aucun fait, ne cisèle aucun pommeau comme Cellini, il appelle à substituer l'affectivité à l'intelligence pour nous faire toucher à l'inénarrable car non encore arrivé. Mais cela ne saurait tarder. Désormais l'anatomique est atomique [...] Nous portons la Destruction comme des bombardiers sans pilote qui survolent la planète sans but précis, sans destination.

Bartleby devient le témoignage probant d'un état affectif particulier à toutes les subtilités d'un système de références rationnelles. Nous sommes ainsi portés – là où nous attendrions un centre – au vide et au néant pour seules futures références. Si bien que le texte n'est ni créé ni choisi mais découvert, dévoilé, tirée des obscurités intérieures là où Bartleby et bon nombre d'auteurs cités deviennent ses médiateurs. 

En un tel livre dans sa fragmentation est plus une affaire de vision que de technique. Il ne s'agit plus d'ouvrir un monde si ce n'est un monde en négatif, un au-delà, un en deçà, un infra-monde. La réalité en devenir que crée le fragment prend un aspect particulier plus tragique encore que chez un Blanchot. Elle prend la voie d'un empêchement et de la destruction.

L'anéantissement parcourt l'insula. Le texte ouvre sur un vide là où à la langue choisie contre Rabelais et pour Amyot, se quitte pour foncer vers de lalangue chère à Lacan. C'est là où tout commence : à savoir où le sujet meurt avant d'atteindre le verbe, sans espoir, sans raison.


Jean-Paul Gavard-Perret

Serge Airoldi, Insula bartelby, éditions Louise Bottu, 20 Septembre 2021, 120 p.-, 14 €

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