Le Sculpteur

Le roman graphique de Scott McCloud, sous prétexte de raconter le destin d'un artiste en quête de reconnaissance artistique, nous parle de l'art et du sens de la vie.


Tout commence par un pacte avec la Mort. David Smith, artiste désespéré mais ambitieux, passe un marché qui va lui permettre de sculpter à sa guise n'importe quelles matières de ses mains. Mais c'est un don qu'il devra payer au prix fort. Comme dans Faust, ce n'est pas une métaphore : en contrepartie, David Smith va mourir dans deux cents jours. Et bien entendu, rien ne va se passer comme prévu : très vite, David rencontre Meg, et c'est le coup de foudre. Et Scott McCloud de s'écarter du conte traditionnel.


La Mort prend ici l'aspect d'un oncle disparu de David. Elle a ses habitudes, donne des conseils, souvent judicieux. Elle le soutient, et ne nous apparaît pas vraiment comme un ennemi. Tout juste si elle ne nous semble pas bienveillante à l'égard de David. Scott McCloud n'explique jamais pourquoi la Mort lui propose ce pacte, car en fin de compte ce n'est pas le thème de l'histoire.


Contrairement à Faust, il n'est pas ici question de la corruption de l'âme. Scott McCloud ne décrit pas son héros comme quelqu'un d'immédiatement attachant. Si David Smith ne veut de mal à personne, il est aussi égoïste, renfrogné, et impatient. S'il accepte le pacte que la Mort lui propose, ce n'est pas pour profiter, pour abuser des autres, mais bien pour accomplir ses rêves de gloire artistique. Évidemment, son amour pour Meg va bientôt remettre en cause ses convictions.


On pouvait s'attendre à ce que David fasse tout pour se soustraire au destin qui l'attend. Mais ici, Scott McCloud s'intéresse plus à la manière dont son personnage va utiliser le temps qui lui reste. Et s'il vous restait deux cents jours à vivre, que feriez-vous ? Comment l'annoncer à ses proches ? Faut-il l'annoncer à ses proches ? Comment les utiliser au mieux ? L'Art est-il aussi essentiel qu'on le pensait ? Qu'il y a-t-il de plus important dans votre vie ? Si bien que l'intrigue devient vite très indécise, on comprend vite que tout le suspens n'est pas de savoir si David va échapper à son destin, mais bien son évolution personnelle dans le laps de temps qui précède sa mort.


Le travail de McCloud est si passionnant qu'il est difficile de refermer l'album une fois entamé. On savait l'auteur très au point sur la narration graphique. Il faut lire son chef d’œuvre L'Art invisible. Aussi j'étais curieux de lire si McCloud était aussi à l'aise dans la pratique qu'il l'est dans la théorie.


À la manière de son personnage, on sent bien qu'il cherche à créer une œuvre de référence, comme s'il avait un défi à relever. Et dans la première partie, cette intention alourdit son travail. McCloud met ses théories développées dans L'Art invisible au service de son travail. Il n'hésite pas à varier les styles à emprunter à différents genres. L'histoire principale fait parfois des appels du pied à d'autres genres comme le polar. Il y a des pages magnifiquement construites et joliment dessinées. Mais on a un peu l'impression que McCloud est dans la pose, la démonstration, l'épate. Un peu comme un bon élève qui restituerait une leçon apprise par cœur, mais qu'il n'a pas comprise. 


Mais l'avantage d'écrire un pavé de 500 pages, c'est qu'on a le temps. Alors justement il faut lui donner du temps, poursuivre la lecture. Passés la moitié de l'album, il se passe quelque chose de merveilleux. L'Art, McCloud en a déjà parlé en long et en large dans L'Art invisible. À ce moment de son travail, il nous parle d'émotion, de l'Amour, d'espoirs et d'illusions perdues. Il y a vers la fin de l'ouvrage quelques pages d'une grâce visuelle absolue, du genre à vous nouer la gorge et vous laisser la larme à l’œil. Une fois refermé, il invite à se poser les même questions que son héros. Le Sculpteur reste longtemps en tête, il vieillit, mûrit, bien.


Il faut lire Le Sculpteur : c'est une œuvre qui interpelle, et qui demande à ce qu'on y revienne, parce d'une richesse enthousiasmante et étourdissante.



Stéphane Le Troëdec




Scott McCloud (scénario et dessins)

Le Sculpteur

Édité en France par Rue de Sèvres (19 mars 2015)

485 pages en noir, blanc et bleu

25,00 euros

ISBN : 9782369811244

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