La Vie des productrices

Productrices, femmes à hauts talents


Quand on s’imagine un producteur de cinéma, s’impose l’image d’un monsieur bedonnant, souvent moustachu, fumant des gros cigares et éructant des ordres contradictoires. Or, le cinéma a aussi été construit par des femmes ne fumant pas le cigare. Les productrices ont souvent été reléguées dans l’ombre, laissant les places au soleil à ces messieurs qui ne les ont pas toujours regardées d’un bon œil. Grâce à cet ouvrage, ces dames sont, enfin, réhabilitées. Grâce lui soit rendue.


Il ne s’agit pas d’une encyclopédie des argentières du cinéma mondial mais d’une sorte de dictionnaire amoureux narrant le parcours de productrices pour la plupart françaises. Les auteurs – dont surtout Yonnick Flot (qui signa en 1986 Les Producteurs, les risques d’un métier chez Hatier) – ne cachent pas leur parti pris ni leurs coups de cœur. Ils parlent souvent de qu’ils ont connu et c’est tant mieux.


Il est d’ailleurs assez surprenant que ledit Yannick se cache trop souvent derrière un paravent qui ne trompe personne. Refusant d’employer le « je », il parle d’un « jeune journaliste », d’un « représentant d’Unifrance », etc. En fait, il parle de lui et de ses rencontres. Le propos aurait été plus fort, et plus sensible, s’il Flot avait été au bout de ses convictions.


Voici donc des femmes qui se sont battues pour faire naître des films, pour apporter un sang frais au cinéma. Je dirais plus précisément un certain cinéma. Yannick Flot nourrit un très visible attachement pour les films d’auteur, voire pour des films élitistes. Il n’est qu’à lire le chapitre consacré à Christine Gouze-Rénal pour s’en rendre compte. Le fait que cette dame – très proche d’un Président – ait osé se compromettre dans des productions du genre Le Tigre se parfume à la dynamite (pourtant réalisé par Claude Chabrol !) la discrédite à tout jamais aux yeux de M. Flot.


Néanmoins, ce dernier connait son métier et a des choses à raconter. Quand il a bien connu la productrice dont il parle, le portrait devient plus touchant, plus vivant. Preuve que l’on est bel et bien ici dans un dictionnaire amoureux. Flot donne son point de vue, expose avec franchise ses goûts mais aussi ses opinions politiques. On sent bien de quel côté il penche. On sent aussi son dédain pour certaines productions américaines et, en général, pour ce sempiternel cinéma dit commercial.


Chemin faisant on en apprend beaucoup sur les combats de ses femmes et on aurait presque envie de les embrasser (sur les joues) pour les remercier de tout ce qu’elles ont fait. Bravo mesdames.


Voilà pour le côté face de cet ouvrage qui, je le répète, rétablit des vérités, comble des lacunes, ravive le souvenir.

Pour le côté pile, je suis un peu plus sceptique.


Le propos est souvent noyé dans des digressions un brin pompeuses qui gêne, pour ne pas dire brouille, la lecture. Les chemins de traverse sont toujours intéressants quand ils débouchent quelque part, non quand ils consistent à sortir du sujet. Ainsi au détour d’un chapitre on tombe sur une mini-biographie, totalement hors de propos, de Darry Cowl !


De plus, M. Flot étant homme cultivé, il multiplie les citations à tout bout de champ. Pa s un chapitre sans qu’un – ou plusieurs – grand auteur ne soit appelé à la rescousse. Proust par-ci, Nietzsche par-là. La Rochefoucauld d’un côté, Montaigne, de l’autre… Indigeste à la longue. Mais un écrivain a le droit de faire ce qu’il veut dans son livre, y compris d’étaler sa culture. Je préfère les faits.


Les rares qui osent me suivre à travers mes rubriquettes savent à quel point je suis tatillon (« chiant », précisent ceux qui m’aiment bien). Or ce dictionnaire amoureux n’est pas exempt d’erreurs que j’espère d’inattention.


Je pourrais chipoter sur le fait que Les Aventuriers de Robert Enrico et La Loi du survivant de José Giovanni ont, en réalité, été tournés pratiquement en même temps (p 135). En revanche, je me demande ce que Fred Astaire vient faire dans Les Demoiselles de Rochefort (p 173). Ou alors faudrait que je revoie le film ! Je rappelle que le frère de Claude Pinoteau se prénommait bien Jack et non Jacques. La maison de production de Lucille Ball se nommait Desilu et non Desil et son mari n’était autre que le musicien Desi Arnaz (et non Disy) (p 311).


Plus inquiétantes sont les références au box-office. En fait, les auteurs citent souvent les chiffres des entrées à Paris, oubliant le reste de la France. Ainsi Que la Fête commence de Bertrand Tavernier n’a pas fait « près de 500 000 entrées » (p 270) mais 1 124 845, ce qui est plus impressionnant. Ailleurs (p 356) il est écrit que Pourquoi pas moi ? de Stéphane Giusti a enregistré « seulement 960 entrées en France » (p 356). Si tel avait été le cas, on aurait pu parler de bide historique ! Heureusement pour lui, il en a fait 283 616. J’avoue avoir eu la flemme de vérifier les autres chiffres cités dans le livre…


Tout cela pour dire que je ne conteste aucunement la valeur de cet ouvrage mais sa rigueur. Quand on parle de cinéma, il ne faut pas compter sur sa seule mémoire, aussi riche soit-elle, ni sur de vagues documents glanés ici et là.


À noter que ce « dictionnaire » se termine par un troublant portrait de Julie Gayet qui résonne plus comme un plaidoyer que comme un hommage. Mais sans doute suis-je partial.


Philippe Durant


Yannick Flot et Christine Beauchemin-Flot, La Vie des productricesSéguier, mars 2016, 389 pages, 22€

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