Alain Bonnand ou la fraternité de l’amour

Alain Bonnand a beaucoup de temps devant lui. Nous, lecteurs, beaucoup moins. Et il se publie beaucoup de livres. Bonnand, lui, écrit des petits livres courts – qu’il adresse aux femmes et aux autres – avec le grand souci de plaire et d’être léger. Le dernier en date, arrivé par la poste comme un cadeau, n’est pas plus lourd que n’étaient Les jambes d’Emilienne ne mènent à rien (Le Dilettante, 1985), Feu mon histoire d’amour (Grasset, 1989), ou encore Je vous adore si vous voulez (Puf, 2003). La bonne littérature n’est pas une affaire de poids. Et Bonnand n’abuse pas de notre temps. Pas son genre. Il passe comme un chat qui ronronne. Il se pose sur les genoux de sa maîtresse. Quand bon lui semble. Ensuite, on ne le revoit plus.

 

144 nouvelles pages de Bonnand, disais-je, c’est une chance. Des petits textes ciselés, comme des lettres adressées aux femmes – s’agit-il de Bonnand l’écrivain ou de l’homme Bonnand ? –, rédigées avec cette légère impudeur d’un éternel jeune homme qui aurait besoin de (se) prouver qu’il plaît aux femmes. Léger jusque dans le sac à main de mes lectrices, se veut-il. Il y a d’abord cette « Grammairienne », tête chercheuse, qui aborde l’auteur comme un sujet d’étude et à qui celui-ci rappelle que La littérature se vit avant de s’écrire, venez donc vous promener un peu avec moi. – Vous me ferez la lecture ? lui demande-telle. – Oui entre deux plaisirs. Le plaisir, et avant tout celui des mots. Bonnand en fait des bouquets qu’il destine à Sylvie l’intellectuelle, l’incitant à plus de franchise : Je rêve d’un peu d’effraction de votre part… écrit-il avant de se tourner vers « La Petite Sorcière », femme aux nombreux visages : Capucine, la fleuriste qui aimerait qu’on lui offre des fleurs, l’hôtesse de l’air aux jambes magnifiques sous sa jupe d’uniforme et dont le souvenir revient comme une lettre renvoyée à l’expéditeur, Hélène – un petit gangster Dunaway – à qui l’épistolier confie :  – Toi, tu as exactement l’âge des femmes que j’aime !

 

Bonnand cherche avant toute chose à donner du plaisir aux mots. Il conçoit la vie comme une promenade joyeuse bordée de Mauvaises rencontres (autre titre de l’auteur, Grasset, 1988) féminines, seulement. Rire, se promener, se jouir, se faire la lecture, se ficher bien du reste : voilà le programme que Bonnand propose à ses lectrices et à tous les autres. Manière de rappeler que l’existence est joyeuse et belle comme une conversation amoureuse. Fraternité dans l’amour, camaraderie dans le déduit.

 

L’auteur – c’est lui désormais – n’a pas son pareil pour embellir notre quotidien. Il décoche ses phrases, tirées du carquois de Cupidon, ou du Calepin demi cuir qu’on l’imagine tenir entre deux séances amoureuses :

 

Tu n’as pas besoin d’être belle, tu l’es.

 

Je t’adore en bon père de famille.

 

Lis-moi doucement.

 

Tu me rends seul.

 

Je t’écris une phrase muette.

 

Tout Bonnand dans ces quelques phrases, parmi beaucoup d’autres. Derrière le masque du séducteur, un homme grave aussi, qui achève son Petit traité des élégances (à la manière de David di Nota) par ce bouquet de mots. Nostalgique – juste ce qu’il faut – et défiant joyeusement la lourdeur des hommes, il écrit : J’aurais voulu être quelque chose de léger, de doux, de multiple, de fraternel : le vent dans tes cheveux, le soleil sur ta peau – ou la lumière du lustre à six heures du soir, le silence quand tu lis. Oui, j’aurais voulu être quelque chose comme cela, d’impossible et d’inestimable, quelque chose qui t’aime et te laisse libre.       

 

Frédéric Chef

 

Alain Bonnand, La Grammairienne et la Petite Sorcière,  Serge Safran éditeur, mai 2015, 144 pages, 15,90 €

 

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