"Accrétion", où le mariage réussi de la science et de la littérature

Stephen Baxter est un pur scientifique qui a échoué aux tests de sélection pour devenir astronaute. Depuis 1995, il se consacre intégralement à l’écriture. Accrétion constitue le 4ème volume du cycle des Xeelees que les éditions Le Belial’ ont entrepris de traduire avec une belle régularité. Et à raison car, disons-le sans ambages, ce cycle passionnant est une vraie réussite, tant sur le plan romanesque que spéculatif.


Difficile pourtant de résumer ou de critiquer ici (tant le sujet pousserait à écrire du papier). Accrétion, terme qu’il est intéressant tout d’abord de définir : « Accrétion », qui  désigne en physique la capture de matière par un astre sous l'effet de la gravitation. L'accrétion a lieu dans de nombreux contextes astrophysiques, lorsqu'un objet compact est situé dans un environnement de matière diffuse. Alors qui capture qui dans ce roman ? Voici en tout cas trois pistes, trois angles permettant d’entrer dans cet ouvrage.


Voyage aux frontières de l’éternité


Suite aux évènements relatés dans Singularité - où la Terre avait été conquise par des extraterrestres venus du futur -, le Nord, est construit pour voyager vers l’avenir afin d’obtenir des réponses sur le destin de l’humanité, vouée à une confrontation avec les Xeelees. Le vaisseau entame un voyage de près de mille ans et c’est une véritable civilisation qui se développe, en dehors des projections et des hypothèses faites par les sociologues et les psychologues de l’expédition. Certaines parties de l’équipage régressent à un niveau primitif, d’autres répètent les tâches manuelles exécutées par leurs ancêtres, sous le contrôle lointain de membres d’équipage rendus pratiquement immortels par traitement médical. Tout cet aspect du roman rappelle Croisière sans escale d’Aldiss. 


Quand le Nord arrive à destination, c’est pour découvrir un système solaire différent, où le soleil est devenu une géante rouge bien plus tôt grâce à l’action d’une forme de vie (absorbant la Terre) et où toute trace de civilisation humaine a disparu. Vertige des siècles… le Nord devait trouver des solutions, il se retrouve dans une impasse. Commence alors une nouvelle quête : retrouver les Xeelees.


Les Xeelees,  deus ex machina invisibles.


Ils sont omniprésents mais n’apparaissent jamais. Tisse-les-cordes, un des personnages principaux, utilise un de leurs vaisseaux pour remorquer le Nord lorsqu’il entame son voyage vers la zone de la galaxie où résidaient les Xeelees. Grâce à cette technologie, le vaisseau finira par atterrir sur un monde créé par ces extraterrestres. L’humanité a voulu se battre contre ces entités mais a finalement perdu. Et ce sont les Xeelees qui vont permettre à l’espèce de survivre... Stephen Baxter a tout de même en partie basé un cycle de romans sur une civilisation qu’on ne fera qu’entrapercevoir, les humains passant leur temps à supputer ses motivations. Cela pourrait être d’un ennui terrible mais la magie opère, peut-être parce que l’auteur, par les quelques indices laissés sur ces mystérieuses créatures, en fait un des éléments du sense of wonder qui secoue le lecteur d’Accrétion.


Humain et intelligence artificielle : quelle frontière ?


Curieux personnage que Lieserl… elle apparaît dans le roman comme une enfant, dont le cycle de vie ne sera que de 90 jours. Il s’agit en fait d’une intelligence artificielle à laquelle les hommes ont donné et une forme humaine, et des émotions, pour la rapprocher aussi de l’humanité qu’elle doit aider. Car Lieserl, devenue IA, est lancée dans un trou de ver pour étudier le soleil et transmettre les données à la Terre, tâche dont elle s’acquitte consciencieusement… jusqu’au jour où il n’y a plus personne à qui transmettre (jusqu’à l’arrivée du Nord en tout cas). Lieserl, c’est l’anti Hal 9000 de 2001, l’Odyssée de l’espace, l’IA plus humaine que certains hommes, capable d’un dévouement envers l’espèce qui l’a créée littéralement à son image. Si elle a des états d’âme, elle est cependant prête à se sacrifier pour  l’homme. Lieserl est aussi le prénom d’une fille naturelle d’Einstein dont l’existence fut découverte en 1986. Une enfant handicapée mentale qui mourut en bas âge : Stephen Baxter ne peut ignorer cette histoire. C’est en tout cas le personnage le plus intéressant du roman, avec un spectre nommé Michael Poole (et Poole n’était-il pas le nom d’un des astronautes de 2001 ?…).


Au final, un roman qui marque le lecteur et le connaisseur, qui donne envie de se replonger dans une brève histoire du temps de Stephen Hawking. De la très bonne Hard Science - genre qui n’existe pratiquement pas dans la science-fiction francophone et on peut finalement le regretter - qui est aussi un space opera imaginatif. Formons le vœu que Le Belial’, un de nos éditeurs les plus courageux, traduise l’ultime volume du cycle, le recueil de nouvelles intitulé Vacuum Diagrans.

 

Sylvain Bonnet


Stephen Baxter, Accrétion, traduit par Laurent Philibert-Caillat, Illustration de Manchu, Le Bélial', Février 2013,  528 pages, 24 €

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