"Le dernier château", un bon vin qui vieillit bien!

Un auteur et son époque


Publié pour la première fois avec la nouvelle Le penseur de mondes dans Thrilling Wonder Stories pendant l’été 1945, Jack Vance est un des derniers survivants de l’âge d’or de la science-fiction - on peut citer Frederik Pohl aussi, ancien des futurians - et son œuvre est foisonnante. On y trouve des space operas, des romans policiers (Méchant garçon), de la fantasy. Une des forces de l’auteur est aussi de marier les genres : il est ainsi l’auteur de la geste des princes-démons dont la trame repose autant sur le polar (une enquête) que sur l’aventure avec un ressort - la vengeance- qui apparente ce cycle à un grand classique, le comte de Monte Cristo de Dumas.

Le Belial’ a rassemblé dans ce recueil 4 novellas de Vance : Les maisons d’Iszm, Alice et la cité, Fils de l’arbre et Le dernier château. Elles sont archétypales de la science-fiction américaine de l’époque, accordant le premier rôle à des personnages individualistes, aventuriers, en recherche de profits - après tout, nous sommes dans les années du capitalisme américain triomphant !-, intrépides. Dans le même temps, Jack Vance possède un ton original qui le distingue bien des autres grands de l’âge d’or.


L’aventure, toujours l’aventure !


Disons-le franchement : avec Jack, on ne s’ennuie pas ! Le lecteur voyage entre les planètes (trois dans fils de l’arbre, deux dans les maisons d’Iszm) ou sur des planètes : ainsi dans Les maisons d’Iszm, le personnage d’Aile Farr traverse-t-il les continents et Joe Smith, pris dans une intrigue politique interplanétaire, change constamment d’endroit. Le goût de Jack Vance pour l’aventure est sans doute lié à sa propre jeunesse de marin embarqué sur des cargos. Menés tambour battant, ces quatre récits rappellent étrangement les films de Raoul Walsh, autre aventurier haut en couleur (qui perdit un œil en filmant la révolution mexicaine), auteur de films inoubliables comme Capitaine sans peur, le monde lui appartient (un sous-titre idéal pour certains héros de Vance) ou Aventures en Birmanie. L’aventure est bien évidemment le prétexte à une quête de soi des personnages (Vance n’a sans doute pas lu Le héros aux mille visages de Campbell, mais ce dernier a sans nul doute lu Vance). Les héros sont à la recherche d’eux-mêmes, que cela soit le Joe Smith de fils de l’arbre ou Aile Farr des maisons d’Iszm.


Si l’homme a colonisé et domestiqué des dizaines de mondes étranges, il n’a pour autant pas aboli l’inconnu et il est loin de tout contrôler. Après tout, fils de l’arbre peint la soumission de l’espèce humaine à un arbre extraterrestre qui se nourrit des humains (même si cela assure la domination spirituelle d’une minorité, les druides, désireuse aussi de s’assurer le contrôle d’une autre planète). Sans vouloir faire d’anachronisme, Vance traite directement du rapport de l’homme à la nature et l’environnement : dans ce recueil, deux nouvelles sur quatre ont pour sujet l’importation d’un organisme végétal.


Maestria du dernier Château


Les trois premières histoires - même si Alice et la cité paraît plus conventionnelle et terne - donnent la mesure de la palette du talent de notre auteur. Cependant, Le dernier château, histoire éponyme du recueil, constitue le sommet du recueil. Cette nouvelle conte l’histoire d’hommes revenus sur Terre pour y construire de gigantesques palais avec leurs esclaves capturés sur des mondes étrangers. Ces hommes extrêmement civilisés, brillants, évolués, ne voient cependant pas la révolte poindre et la majorité des châteaux est bientôt réduite en cendres. Les membres du dernier château devront renoncer à leur mode de vie, leur manière de penser afin de vaincre leurs anciens esclaves, les Meks. Le ton de la nouvelle rappelle un auteur éloigné de Vance, Moorcock (par son traitement de la fantasy, par exemple, dans les cycles du champion éternel mais aussi par le ton employé qui rappelle Les danseurs de la fin des temps). Cette histoire a deux héros : Hagedorn et Xantern. Les deux, lucides, adaptent et sauvent leur communauté mais Hagedorn est incapable de s’adapter et, après la victoire, demeure dans le château devenu musée. Enfin, Le dernier château constitue une condamnation claire et sans équivoque de l’esclavage. Vance montre clairement combien les Meks - mais il y a aussi d’autres esclaves issus d’autres espèces extraterrestres - sont d’abord les victimes de l’humanité, aveugle devant le traitement qu’elle leur inflige.


A la fin, le grand Jack remporte l’adhésion. Ce recueil est bien construit, menant le lecteur vers un sommet de la nouvelle qui méritait ses prix Hugo et Nebula. A l’instar d’un Raoul Walsh souvent décrié par certains amateurs de cinéma américain, on peut décemment le désigner comme un des grands auteurs classiques du genre. Et qui vieillit très bien !


Sylvain Bonnet


Jack Vance, Le dernier Château et autres crimes, traduit de l’anglais (US) par Paul Chwat, Jean-Pierre Pugi, E.C.L Meistermann, Frank Straschitz et révisée par Pierre-Paul Durastanti et Olivier Girard, couverture de Nicolas Fructus, éditions Le Belial’, mars 2013, 372 pages, 21 €

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