"Continent perdu", l'art de la fiction spéculative


Connu pour le décapant Jack Barron et l’éternité (1969) - dont le sujet est, entre autres, le pouvoir grandissant des médias - et l’iconoclaste Rêve de fer (1972) – ou Adolf Hitler devient écrivain de Fantasy…- Norman Spinrad est un monument de la science-fiction américaine. Chacune de ses apparitions dans un festival, comme aux Utopiales de Nantes en novembre dernier est un événement. Les romans de Spinrad se caractérisent par des dialogues corrosifs et des intrigues « morales »,  tournant autour de personnages blasés devenus cyniques et généralement placés devant des choix cornéliens. Issu du mouvement contestataire des années soixante, Spinrad s’est un temps éloigné de l’Amérique pour vivre à Paris dans les années 90,  la France lui réservant un meilleur accueil que son pays natal.


Pour autant, voir notre auteur comme un dangereux gauchiste est une erreur. Norman Spinrad a travaillé pour la télévision - il a même écrit un épisode de Star Trek !- et Hollywood : dans ses interviews, il déclare beaucoup apprécier  le confort matériel procuré par l’argent et se proclame volontiers capitaliste. Cela ne l’empêche pas d’être une « grande gueule » qui, après s’être mis à dos pas mal d’auteurs dits de droite, n’a jamais hésité à attaquer les thuriféraires de la New Left, auquel beaucoup de choses le rattachaient. Par exemple, dans La grande guerre des bleus et des roses, il s’est payé le féminisme et ses excès. Dans Les miroirs de l’esprit, il a aussi dénoncé les sectes type scientologie. Notre homme est un rebelle anarchiste, presque un Jean Yanne de la science-fiction, à tel point qu’il est inutile d’essayer de le faire rentrer dans une 

 case…


Le monde sens dessus dessous


Au 23e siècle, des touristes africains se rendent aux Etats-Unis afin de visiter les vestiges de l’âge de l’espace. En effet, la civilisation américaine s’est effondrée deux siècles plus tôt à cause de la dégradation de l’environnement, en particulier de l’atmosphère. Parmi les descendants des survivants, les plus chanceux sont devenus des guides pour riches touristes, cherchant à faire fortune afin de passer une partie de leur  vie en Amérique du sud :  leur espérance de vie, à cause des conséquences de la pollution du 20e siècle, ne dépasse cinquante ans. Mike Ryan est de ceux-là et il emmène son groupe, dont un des membres est un descendant d’afro américain expulsé par les blancs racistes du 21e siècle,  visiter le new Jersey -devenu un cimetière de voitures rouillées  - puis New York. L’ancienne métropole est recouverte par le smog mais il reste des survivants, les métroglodytes, qui vivent dans l’ancien métro new-yorkais. Ryan emmène ensuite son groupe les visiter, ce qui les amènera à vivre une expérience inédite…


Nostalgie des 70s ?


Continent perdu date du début des années 70, à un moment où les premiers mouvements « environnementalistes » sensibilisent l’opinion américaine aux problèmes de pollution de l’air. L’administration Nixon      , peu connue pourtant pour sa fibre verte,  créée à cette époque l’agence de protection de l’environnement et cherchera à faire voter par le congrès la première loi sur l’air. Fruit indirect de ce contexte, cette nouvelle peut être rapprochée du très bon livre de John Brunner, Le troupeau aveugle, qui justement décrivait l’effondrement écologique des Etats-Unis. Norman Spinrad se montre ici plein de verve, drôle dans la description de ce monde où les africains ont pris le pas sur les américains, toujours déchirés par la question raciale…


Marqué par le début de la prise de conscience collective de la fragilité de la planète- en la lisant, on a Mercy mercy me de Marvin Gaye en tête -, cette excellente nouvelle méritait d’être rééditée. Un petit chef d’œuvre spinradien (A ce propos, qui republiera ce bijou que sont Les anges du cancer, écrite pour l’anthologie Dangereuses visions d’Harlan Ellison?) qui mérite donc largement le détour. Pour terminer, notons que notre auteur reviendra sur le thème de l’écologie dans le roman Bleue comme une orange mais comme dirait l’autre, il s’agit d’une autre histoire…


Sylvain Bonnet


Norman Spinrad, Continent perdu, Editions Le passager clandestin collection dyschroniques, octobre 2013, 112 pages, 7 €

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