Nota Benêt - Faut-il supprimer les notes à l'école ?

Faut-il supprimer les notes ? Question qui part sans doute d’un bon sentiment, mais qui reste très française. Une fois encore, on voudrait réduire la maladie à l’un de ses symptômes…   


Donc, les grands cerveaux qui nous gouvernent viennent d’ajouter un chapitre à leur feuilleton quasi-quotidien sur l’art et la manière de casser le thermomètre pour faire croire au malade qu’il est guéri. En l’occurrence, le malade, c’est l’Éducation nationale et le thermomètre, ce sont les notes. Nul doute que cette information fracassante aura été chassée d’ici trois jours par une autre information tout aussi fracassante, mais il semble malgré tout acquis que diverses commissions vont plancher plusieurs mois durant sur une réforme du système de notation.

            

On reproche à celui-ci d’être essentiellement négatif : si les bonnes notes n’empêchent pas les bons élèves de rester bons élèves, les mauvaises notes encouragent les mauvais élèves à rester mauvais élèves. Sous couvert de mettre en lumière leurs lacunes, elles les enferment dans leur statut de cancres, et nous voilà partis dans une spirale infernale. Et, c’est vrai, on ne saurait faire abstraction des ravages psychologiques que peut entraîner notre système de notation tel qu’il est pratiqué, certains enseignants n’hésitant pas à ajouter à leur palette des notes négatives (autrement dit des notes qui se situent, non pas au-dessous de la moyenne, mais au-dessous de zéro — on peut avoir ainsi -12 en dictée). Seulement, le danger inverse existe aussi : si l’enseignement a pour but d’aider l’élève à se connaître lui-même, il faut bien, d’une manière ou d’une autre, lui faire prendre conscience de ses manques ou, pour employer une terminologie officielle, de ses « non-acquis ». La pédagogie d’encouragement, appliquée, nous dit-on, dans certaines écoles primaires et consistant à considérer une dictée comme parfaitement satisfaisante dé laur ke la fonétic i trouve son quonte, laisse un peu rêveur…

            

L’un des arguments employés à l’encontre du système de notation français est qu’il serait exclusivement français. Et on lui oppose en l’occurrence, non pas le modèle allemand, mais le modèle anglo-saxon. Poppycock ! Ayant enseigné en Angleterre, je puis témoigner personnellement qu’on évalue les élèves de Sa Gracieuse Majesté avec des lettres, et non avec des chiffres, mais l’éventail est à peu près le même que chez nous en définitive, puisque, si l’on recourt officiellement à cinq lettres, pour désigner cinq niveaux différents, il est fortement recommandé de nuancer si besoin est chacune d’entre elles par un + ou un -. On se retrouve donc avec une échelle dotée de cinq fois trois « barreaux » (A+, A, A-, B+, B, B-…), soit quinze en tout, ce qui, on voudra bien le reconnaître, n’est guère différent de nos vingt points dans notre traditionnelle notation sur vingt. Quant au système appliqué aux États-Unis, il se résume assez bien, me semble-t-il, dans l’anecdote suivante. Tel le corbeau de la fable, le père que je suis ne se sentit plus de joie le jour où sa fille, qui suivait des cours à l’Université Columbia de New York, lui annonça qu’elle avait obtenu 41 à un devoir noté sur 45. Elle eut tôt fait de modérer mon enthousiasme : « Mais non, Papa, je suis une quiche : tout le monde est noté ici entre 40 et 45. »

            

En un mot, tout système de notation, quel qu’il soit, prend son véritable sens quand on sait qu’il obéit à un code et quand on dispose des clefs de ce code. Disons que la pilule est certainement mieux « dorée » quand on a 41 sur 45 que quand on a 2 sur 20, mais cela ne change pas grand-chose au fond de l’affaire.

            

Ajoutons que ces protestations contre les notes à l’école ne sont pas loin d’être franchement ridicules quand les hiérarchies et les notations de toute sorte envahissent en permanence notre vie quotidienne. Qu’est-ce que l’Audimat, sinon la notation des émissions présentées à la télévision ? Qu’est-ce que la cote de popularité des hommes politiques, sinon une notation ? Que sont les « étoiles » dont les revues de cinéma gratifient tous les nouveaux films, sinon une notation ? Et quand la cote de popularité de Manuel Valls baisse de quatre points, va-t-on lui dire, pour éviter qu’il ne soit traumatisé et pour « positiver » les choses, que sa cote a augmenté de moins quatre points ? Il n’est pas sûr que les nombres relatifs aient vraiment leur place dans les conversations quotidiennes.

            

En fait, cette question des notes est parfaitement insoluble dans la mesure où le statut même de l’École est et restera sans doute longtemps encore indéfinissable. Nous venons de parler de la vie quotidienne, mais l’École n’est pas la vie quotidienne. L’École n’est pas la vie active. Elle n’en est que le prélude. L’École est, si l’on veut, un sas. Et là, deux thèses, fatalement, s’affronteront : celle qui voudra que l’entraînement soit aussi dur, sinon plus, que l’épreuve véritable à laquelle il prépare (n’y a-t-il pas parfois des morts pendant les entraînements militaires ?), et celle qui estimera qu’un entraînement ne saurait être qu’un entraînement et qu’il doit se garder de pousser à bout la machine humaine, ne serait-ce que pour qu’il reste à celle-ci un peu de force face à la véritable épreuve qui l’attend. Comme bien souvent, la vérité doit être quelque part entre ces deux positions. Il semble que les enfants élevés dans un certain confort — au sens large du terme — aient moins de difficultés que les autres à affronter des épreuves dans leur vie d’adulte, précisément parce qu’ils ne les voient pas, dans leur cadre mental, comme des épreuves insurmontables. Mais, inversement, il faut bien mettre assez tôt en garde les enfants contre les mauvaises surprises que la vie leur réserve. Autrement dit, il faut leur apprendre à faire du vélo avec des stabilisateurs, mais arrive forcément le moment où il faut ôter ces stabilisateurs, et il est difficile d’imaginer qu’ils puissent être dispensés de toute chute et de quelques écorchures aux genoux dans cet apprentissage.

            

Répétons-le : une note n’a donc aucun sens en elle-même. Elle n’est pas inscrite dans le marbre, mais dans l’histoire, autrement dit dans un devenir. La vraie question qui se cache derrière ces débats byzantins sur la notation est d’une tout autre complexité : c’est celle du rapport qu’un enseignant entretient avec ses élèves. Il est de bons élèves à qui un professeur est tenu d’accorder un 16 sur 20, mais il le fait sans le moindre enthousiasme, tant le travail qu’il a à évaluer est scolaire, au plus mauvais sens du terme. En revanche, une bien moins bonne note peut être le signe d’un effort et d’un éveil méritoire chez un élève plein de lacunes au départ. Tout enseignant doit marteler au début de l’année scolaire que le niveau qui l’intéresse n’est pas le niveau qu’ont ses élèves en arrivant, mais celui qu’ils auront quelques mois plus tard. Et que les notes ne sont que des indicateurs, avec toutes les limites que cela suppose. La victoire, pour chaque élève, ne consiste pas à faire mieux que ses petits camarades, ce qui est bien mesquin. Elle consiste à se dépasser soi-même, ce qui est tout à fait différent. On ne saurait trop conseiller, sur ce thème, de voir et revoir l’admirable film de Hugh Hudson les Chariots de feu, et en particulier cette scène charnière dans laquelle le héros est désespéré de s’être fait battre à la course par son adversaire. Non qu’il soit jaloux. Il est le premier à reconnaître et à saluer les qualités de cet adversaire. Mais elles le renvoient cruellement à ses propres limites. Arrive alors un homme, Monsieur Mossabini, qui lui propose d’être son entraîneur, autrement dit son complice, pour l’aider à repousser celles-ci : « I can give you two inches more. » L’enseignement ne consiste pas à distribuer des notes, mais à offrir aux élèves le « truc » permettant de courir plus loin dans le même temps donné.


FAL

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18 commentaires

Nietzsche avait remarqué que la stratégie des plus faibles ne consistait pas à tenter de se hisser au niveau des plus forts mais à culpabiliser ceux-ci. Dans ce schéma pernicieux, les excellentes notes des uns n’existeraient que pour humilier les plus faibles. Il était donc prévisible que l’école soit contaminée par cette pensée occidentale dominée par lhostilité que les losers éprouvent vis-à-vis de ceux qui réussissent. Ainsi, au lieu d’inciter les mauvais élèves à redoubler d’efforts pour réussir, le monde éducatif semble prendre pitié d’eux. Dans Par-delà le bien et le mal, le philosophe vilipendait justement cette forme de compassion, la pire des mollesses selon lui. Mais ce point est désormais atteint puisque ce projet de loi prouve que les bonnes notes des uns sont déjà considérées comme de l’arrogance à l’égard des moins forts. Plaignons plutôt les bons élèves, coupables de leurs bonnes notes, coupables de produire des efforts, et bientôt honteux de réussir là où d’autres échouent. Nietzsche disait que pour éviter de sombrer, la société devrait un jour défendre les forts contre les faibles. Il n’a pas été entendu, mais il s’en doutait… 

La note  ne signifie pas grand chose,  à elle seule elle est même inutile puisque le barème, hormis en sciences exactes est totalement aléatoire.  Les commentaires et les observations par contre sont essentielles, mais très souvent hélas absentes des copies corrigées. Un élève ayant mal démarré son année mais progressé d'une façon admirable sans pourtant rendre une très bonne copie mérite une belle annotation. Tant qu'à faire, il serait bien de supprimer le bac en l'état actuel, qui ne signifie plus rien du tout  vu que des élèves n'étant pas fichus d'écrire  ni de comprendre un texte correctement se voient affublés d'une mention assez bien., ça devient fascinant...

Les contrôles continus en Terminale, voilà ce qu'il y a de plus juste - et pas forcément notés, mais appréciés - pour déterminer si un élève peut poursuivre en cycle supérieur.

la note est une base solide depuis des décennies, système dont est lui-même issu Hamon. Mais sans doute pense-t-il, comme tous les "réformateurs" que les enfants de maintenant sont plus cons que ceux d'avant et qu'il faut les aider en nivelant par le bas. A moins qu'on soit dans un processus d'abrutissement global qui commence par le premier échelon, l'école... 

Loïc ce n'est pas niveler par le bas que d'imaginer une autre façon d'évaluer. Ce n'est pas une question de note. Ce qui est niveler par le bas, c'est le système du bac actuel avec l'harmonisation des notes par ex et les consignes de clémence données aux correcteurs . Sorry, mais le nombre de gamins qui ont eu par ex des mentions AB et qui ne le méritent pas sont légions vu leur résultats tout au long de l'année.

Et d'autre part,  au cours de l'année, ne pas corriger les fautes de grammaire ou d'ortho, ne pas sanctionner dans l'appréciation les erreurs de compréhension, accepter des réponses en français dans des devoirs en anglais etc...Il ne faut pas se braquer sur les notes, pourquoi considérer que des observations précises et nourries ne peuvent les remplacer ? Dire avec des mots, c'est beaucoup mieux, mais pas juste bien, ou mauvais ou nul, non , mais indiquer les points positifs et les négatifs, voilà ce qui aide les enfants à se situer et comprendre les efforts qu'ils ont à faire.  D'autre part, les lettres à la place des notes, ça ne change pas grand chose. 

Article intéressant. Pour moi, il mérite un 15/20. J'ai bon ? ;-)

Anne, la note n'est pas importante en soi, elle est un moyen d'évaluation. Si on la supprime, après on pourra tout supprimer, et arriver au paradoxe de la révolution maoïste où les élèves pouvaient mettre l'engagement de "bon communiste" de leur professeur en doute pour nier toute forme de pouvoir. La note, ça ne gène ni les très bons ni les cancres, et je crois que les médiocres s'en foutent. Ça gène les politiques qui ont besoin de petits combats inutiles pour tenter de se faire mousser. 

Qu'on mette un A, un 20, un "c'est bien", ça change quoi, sinon que 20/20 c'est plus précis 

Loïc, il faudrait quand même pouvoir s'affranchir des modèles et des références, sinon, il est impossible d'avancer. Et c'est valable pour tout. Il ne s'agit pas de renier le passer, systématiquement (et même l’Histoire puisque vous l'évoquez), mais de s'ouvrir à d'autres possibles.  Là, en l’occurrence, il ne s'agit pas de noter en marge de la copie 'c'est bien,' c'est insuffisant"  des mots qui ne signifient absolument rien, mais de transmettre à l'élève un message concernant sa prestation et son travail, (ou son absence de travail)  très précisément, pour lui permettre de progresser. Il me semble quand même  que l'intérêt de l'évaluation, c'est de faire progresser les élèves quel que soit leur niveau. Tout le monde ne peut pas être excellent ni même bon, l'essentiel est d'amener les élèves à leur meilleur avec leurs moyens intellectuels et environnementaux, de leur donner confiance. Beaucoup de mauvais élèves sont capable de mieux, encore faut-il les encourager. Ça vaut pour tout, encore là, le monde du travail, les délinquants, etc etc....

sont capables, avec un s...

Plus sérieusement, les Finlandais vivent sans note à l'école et ne paraissent ni en souffrir ni être plus bêtes que nous. C'est aussi très difficile pour nous Français d'imaginer un système qui n'encourage pas l'élitisme et la compétition, ce qui n'est pas le dernier des paradoxes dans un pays où la République se targue de prôner l'égalité pour tous dans ses textes, mais se conforme à une sélection tout sauf naturelle dans le temple censé former le citoyen, l'école. Or, si on se pose la question ces dernières années, c'est bien parce qu'on peut tirer un constat d'échec du rôle formateur qu'est censé jouer l'école dans la société. C'est sur ce point précis que je suis en désaccord avec FAL : remettre le système de notes en question n'est pas nécessairement casser le thermomètre, mais peut-être prendre acte du fait qu'il n'est plus adapté à mesurer correctement la maladie à laquelle vous faites justement référence. Si je ne partage en rien le projet du gouvernement, que je trouve crétin, aveugle et réducteur, on ne m'enlèvera pas de l'esprit qu'un thermomètre n'a, jusqu'à preuve du contraire, jamais soigné quiconque. Et le problème se situe peut- être là : considérer la notation comme un thermomètre, c'est aussi, quelque part, avouer que la notation ne soignera en rien l'école du mal dont elle paraît souffrir.

Certes, Glen, la note fait partie du système global français, et donc ne s'en prendre à la note seule relève vraiment de l'ineptie. Mais le "mammouth" est-il prêt à être reconsidéré dans son ensemble ?