A propos des nouvelles technologies dans la fraude scolaire

Tu me la copieras


Un récent rapport souligne une utilisation de plus en plus fréquente des nouvelles technologies dans la fraude scolaire. Mais il est absurde d’accuser Google ou Wikipedia de tous les vices de la terre.


Oyez, oyez, bonnes gens, l’heure est grave. Le Parisien du 2 mai nous révèle, après s’être emparé on ne sait trop comment d’un rapport vaguement secret, que la fraude scolaire perpétrée au moyen des nouvelles technologies connaît depuis quelque temps un développement inquiétant. Concrètement, cela veut dire que, pour les devoirs à la maison, les copiés-collés wikipédiens se multiplient ; et, pour les examens et concours, il semblerait qu’on fasse beaucoup chauffer les smartphones, là encore pour réaliser des copiés-collés, ou pour aller consulter des cours et des formules pieusement et préalablement downloadés. Même quand une épreuve est bien surveillée, les appariteurs ne sauraient accompagner les candidats au fin fond des toilettes. Devraient aussi entrer bientôt dans la danse les « montres connectées ».


Tout cela, bien évidemment, est éminemment fâcheux, mais il nous semble que, comme trop souvent, on confond le symptôme et la maladie, et qu’on se borne à montrer celui-là pour éviter d’avoir à soigner celle-ci.


Disons d’abord que la fraude n’a pas attendu l’informatique pour exister et qu’elle n’a jamais été l’apanage des examens et concours scolaires ou universitaires. En 1969, Pierre Schoendoerffer se faisait tirer l’oreille pour son roman l’Adieu au roi, dans lequel certains avaient repéré nombre de passages rappelant de façon troublante des pages de l’Homme qui voulut être roi de Kipling. Dans le domaine scolaire, il y a un demi-siècle, le latiniste qui avait une version à faire ne disposait pas d’Internet, mais, grâce aux références précises aimablement fournies par le sacro-saint Gaffiot, il n’avait aucun mal à trouver le volume de la collection Budé qui allait contribuer à alléger sa tâche. Inutile de multiplier les exemples. Le mot antisèche ne date pas de la dernière pluie. La fraude est une très vieille institution, revêtant des formes diverses et variées. Les remplacements de candidats par des copains plus qualifiés pour certaines épreuves ont parfois fait l’objet de scandales, mais combien ont dû passer entre les gouttes !


Ajoutons que les enseignants eux-mêmes ont largement contribué, sinon à encourager le vice, du moins à fausser les esprits. Car enfin, toutes ces collections du type Profil d’une œuvre, tous ces fascicules parascolaires, et qui peuvent être parfois très bien faits, ont eu pour effet de mettre dans l’esprit des élèves l’idée qu’on pouvait se dispenser de lire l’œuvre originale et se contenter de la connaître par le biais de résumés ou de commentaires prétendument synthétiques.


Toute génération se plaît à considérer qu’elle est victime d’un mal inédit. Cela fait d’elle quelque chose d’unique et d’exceptionnel, mais elle confond souvent le fond et la forme. Hiroshima est une abomination, bien entendu, mais Hannibal, qui ne disposait pas de la moindre arme nucléaire, n’en a pas moins envoyé dans un monde meilleur, en l’espace de quarante-huit heures, entre cinquante et quatre-vingt mille Romains (on n’a pas le chiffre exact) il y a vingt-deux siècles, lors de la bataille de Cannes.


Peut-être, nous dira-t-on, mais la « triche » est devenue tellement plus facile aujourd’hui, les informations sont devenues tellement plus accessibles, y compris les informations idiotes — car les forums d’Internet sont souvent envahis par les opinions de crétins congénitaux —, bref la différence quantitative est telle qu’elle finit par devenir différence de nature. C’est vrai, n’importe quelle ineptie peut être diffusée aujourd’hui en quelques secondes à travers le monde entier, mais elle peut aussi être corrigée. Derrière les protestations de vieilles barbes professorales contre l’usage d’Internet, il n’y a finalement pas tant l’interdiction de recourir à des sources — nous savons bien, avec le philosophe Jacques Bouveresse, que toutes nos idées sont peu ou prou inspirées par des idées déjà existantes — que la conviction qu’une information imprimée sur papier est nécessairement plus fiable, plus pure qu’un paragraphe de Wiki lu sur l’écran d’un smartphone. Allons donc… Nous pourrions évoquer ici ce manuel de latin — très largement diffusé plusieurs années durant — qui, dans ses tableaux de conjugaisons, donnait comme subjonctif imparfait passif de facere la forme facerer — les latinistes apprécieront… — ou tel autre manuel, de latin aussi, dont les auteurs — un triumvirat de choc — pensaient doctement que la concordance des temps impliquait qu’on trouvât le même temps dans la principale et dans la subordonnée — une phrase telle que « je pense (présent) qu’il est venu (passé) hier » n’avait donc pas droit de cité. Nous pourrions également mentionner la fracassante édition du Gaffiot parue en l’An de Grâce 2000, où l’on avait confondu quid et quod. Nul n’est à l’abri d’un quiproquo, certes, mais on n’aurait pas imaginé cela du Gaffiot revu et corrigé…


Copier-coller ne veut rien dire. Il y a copier et copier, coller et coller. Qu’elle soit sur papier ou électronique, une information, toute information doit être vérifiée, recoupée, digérée. Et le test est assez facile à faire et la ligne de partage aisée à déterminer. Googlez, monsieur le professeur, googlez, quand un élève produit une phrase qui vous paraît être au-dessus de son grade. Si vous retrouvez la phrase telle quelle sur un site Internet, sanctionnez. Si, malgré tous vos efforts, vous ne repérez pas la source, saluez au contraire le travail d’appropriation, « d’assaisonnement personnel » que l’élève a su effectuer. Va-t-on mettre Rimbaud au piquet parce le style de ses premiers poèmes doit considérablement à Hugo ? va-t-on condamner Molière aux travaux forcés parce qu’il a « emprunté » sa galère à Cyrano ? Qu’on le veuille ou non, in fine, comme on dit aujourd’hui, Molière a fait du Molière et Rimbaud du Rimbaud.


Interrogé dans l’enquête du Parisien, le proviseur du Lycée Victor Duruy explique que, tout bien pesé, l’origine du mal, dans ces nouveaux modes de fraude, n’est autre que le conservatisme imbécile de l’Éducation nationale, qui semble incapable d’imaginer une modification de la forme, ou, pour employer une terminologie contemporaine, du format de ses examens ou concours. Faisons comme certains pays scandinaves, dans lesquels les candidats à un concours ont accès à toutes les informations possibles et imaginables, par tous les moyens possibles et imaginables. La notion même de fraude disparaîtra d’elle-même. Mais évidemment, cela suppose des épreuves d’un nouveau genre, et la nouveauté effraie beaucoup d’enseignants. Sait-on que, quand Lagarde & Michard ont voulu mettre à jour certains volumes de leur collection, ils n’ont pu le faire qu’en remplaçant certaines pages. Il n’était pas question qu’ils en ajoutent. Cela eût entraîné une modification générale de la pagination et ébranlé la tranquillité de tel ou tel professeur de Lettres, habitué depuis des lustres à donner à préparer le texte situé page tant.


Mais tout cela reste encore du bricolage, et un tel bricolage ne prendra son sens que si l’on parvient à former et à réformer les esprits. Réformer l’esprit du système, et former l’esprit des élèves. A maints égards, le principe qui régit l’enseignement français n’est pas très éloigné du principe The only good Indjun is a dead Indjun. Oui, et ceci n’est pas une attaque contre tel ou tel enseignant, car c’est le système qui va très souvent dans ce sens, le seul bon élève est l’élève qui se tait. Les élèves étrangers en visite dans des établissements français disent souvent leur étonnement devant la passivité de leurs camarades gaulois pendant les cours. Et nous savons bien que les élèves français sont ceux qui s’abstiennent le plus de répondre aux questionnaires de certaines évaluations. Parce qu’ils ont peur, tout simplement. Bien sûr, on a chanté sur tous les toits, il y a quelques décennies, qu’on allait encourager les élèves à s’exprimer. Moyennant quoi on a supprimé l’apprentissage par cœur, trop mécanique, trop contraignant. Qui, aujourd’hui, apprend des récitations ? Mais c’était ne pas voir que cet apprentissage permettait d’acquérir les armes nécessaires pour le développement d’une pensée individuelle et originale. Que ces contraintes n’étaient qu’une étape vers la liberté. Si nos élèves et nos étudiants avaient dans la tête qu’il est nettement plus drôle de produire soi-même quelque chose de personnel — quitte à se tromper parfois ! — que de copier ou de recopier la pensée d’autrui, ils tricheraient sans doute beaucoup moins.


Il y a là un paradoxe français qui ne disparaîtra sans doute pas du jour au lendemain. L’École ne saurait enseigner l’insoumission — ne serait-ce que parce qu’il y a contradiction dans les termes. Elle est le fondement d’une société et, partant, doit imposer certaines règles. Mais une société évolue ; elle est inscrite dans l’avenir tout autant que dans le passé. L’École devrait donc encourager un certain goût du risque, favoriser les initiatives individuelles aptes à construire cet avenir, mais elle préfère malheureusement trop souvent ne voir qu’une seule tête.


FAL

Sur le même thème

1 commentaire

Je vois, et dans la même veine, en français, le subjonctif imparfait de faire deviendrait fissa... trêve de plaisanterie, tout cela est marqué au coin du bon sens.