Pierre Lieutaghi. In memoriam

Merci à l'ami Jean Benoist de m'avoir transmis puis aimablement autorisé à publier ici, inédit, un extrait de la transcription d’entretiens réalisés avec Pierre Lieutaghi il y a assez longtemps.
J'ai trouvé opportun d'illustrer et faire écho aux paroles du botaniste via une petite constellation de plantes et de fleurs peintes de chic par son voisin et ami Serge Fiorio sur un modeste rectangle de carton toilé.
André Lombard

L’amorce de mon rapport au végétal se situe dans l’ordre purement sensible et remonte à l’enfance. Je vois le petit Pierre Lieutaghi regardant une plante, avec une émotion esthétique extrêmement forte qui en même temps était un apprentissage. J’ai été conduit à la flore dans mon enfance par une vieille tante bretonne qui était une femme au niveau intellectuel très modeste, un peu simple ainsi qu’on la qualifiait mais qui avait ce rapport immédiat avec la beauté des choses et du coup je me rappelle d’histoires de cueillettes de fleurs, de bouquets, mais aussi de ce qu’on me disait sur certains usages, encore pratiqués dans les campagnes en Bretagne à l’époque, et il y avait aussi l’enseignement de ce qui pouvait se manger, parce que les gens de ma société avaient la mémoire des disettes des temps difficiles. C’étaient des gens qui à Noël avaient une pomme qu’on frottait pour la rendre brillante. Et dont le rapport avec la flore était celui de l’ancienne société rurale.

Donc je faisais déjà de l’ethnobotanique  mais du dedans et sans du tout l’imaginer, mais en même temps c’était un rapport très puissant dans l’ordre de l’émotion. Et il y avait les noms. Les noms sont les chaînons indispensables à tout accès au monde, mais là ils étaient associés à des moments d’émotion : en Bretagne on appelle coucou les orchidées des prairies, ici les coucou sont des primevères, les primevères s’appelant fleurs de lait. Les noms donnaient des repères dans l’accès au monde, des noms associés à des moments d’émotion et aussi de distance de ma vie quotidienne qui n’était pas facile parce que mes parents étaient des gens modestes et au prises avec une certaine ségrégation sociale qui régnait à l’époque.
J’avais dans la flore quelque chose qui était de l’ordre du refuge et tout cela a construit une sorte de relation assez romantique à la nature.

Pierre Lieutaghi

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