Enjoy roman critique sur les réseaux sociaux de Solange Bied-Charreton


« Tu entres dans la convention, Charles. Ce n’est pas donné à tout le monde. »

 

Voici un premier roman fracassant d’un jeune auteur qui, nous l’espérons, n’en restera pas là. Solange Bied-Charreton vous a donné dix bonnes raisons de ne pas lire Enjoy (1) se prêtant à l’exercice avec humour. Un humour sarcastique que l’on retrouve dans son roman que l’on conseillera d’autant plus vivement qu’il fait réfléchir sur notre propre intoxication aux réseaux sociaux.

 

 

 Génération Y, net génération.

 

Charles Valérien est rentré dans le moule des jeunes d’aujourd’hui. Il a hérité à vingt-quatre ans de l’appartement de sa marraine suicidée, vient de décrocher son premier emploi, s’est acheté des meubles sur internet et s’est filmé en train d’aménager son appartement. Bref, un garçon plutôt bien parti dans la vie, sauf si l’on considère que cette dernière est virtuelle et n’est vécue que par écran interposé. Sa vie tourne autour de ShowYou, le réseau social le plus fréquenté au monde : il y poste avec angoisse sa vidéo de la semaine, obligatoire si l’on ne veut pas être exclu, organise ses soirées en fonction des events dont les albums photos finissent par devenir plus réels que les soirées elles-mêmes. On existe, on s’exprime par ShowYou, ne pas en être est une hérésie. Au même moment, il rencontre « Al », une hérétique justement, étudiante à la Sorbonne et membre d’un groupe de rock dont aucun membre n’a de compte ShowYou. Charles découvre alors qu’il existe un monde en dehors du réseau, tombe même amoureux d’une vraie personne et non d’une photographie. Peu à peu, il va cesser d’être spectateur et devenir acteur de sa vie.

 

 

Le syndrome ShowYou et nous

 

Le premier qualificatif qui vient en tête lorsque l’on referme Enjoy est angoissant. Angoissant d’abord parce que beaucoup de personnes se reconnaîtront dans le personnage de Charles et son utilisation d’un réseau social plus connu pour nous sous le nom de Facebook. Oui, en tant que membre, nous avons étalé nos états d’âme sur le net, mis des photos de nos soirées, regardé celles auxquelles nous avons assisté, espionné et commenté la vie de nos 400 « amis » dont certains que nous n’avons pas revus depuis le primaire. Nous avons tous constaté que parmi eux nous avions un dragueur invétéré, une mère poule qui raconte la vie de sa progéniture, une amoureuse transis qui déclare toutes les cinq minutes sa flamme à son « doudou » ou encore celui qui étale sa science et son avis. Sauf que nous n’avions peut-être pas commencé par balayer devant notre porte.

 

Angoissant également parce que l’on prend conscience d’une réalité ignorée par complaisance : notre addiction au réseau. Au travail, à la maison, dans la rue, rien n’est plus facile aujourd’hui que de consulter le Wall et de lâcher un commentaire grâce à son smart phone. La confusion s’installe entre la vraie vie et l’écran. Solange Bied-Charreton pousse l’idée à l’extrême : le « syndrome ShowYou » qui touche les utilisateurs inconditionnels, se traduit par une dépendance proche de la démence. Conséquence de ce mal moderne, Charles vit sa vie par écran interposé : il assiste ainsi en spectateur à la vie de sa voisine, une dame âgée asociale. Jusqu’au jour où…

 

Angoissant, enfin lorsque l’on constate les dérives extrêmes auxquelles l’adhésion à un réseau peu conduire. Le virtuel peut devenir un véritable cauchemar. L’exemple de cette jeune fille qui est séduite par un homme sur le réseau, l’épouse et se fait larguer devant caméra fournissant ainsi la vidéo de la semaine n’est pas sans rappeler qu’aujourd’hui Facebook sert de relais à de mauvais plaisantins. Les groupes incitant à s’attaquer à un élève ou ceux intitulés « on a tous un prof qui… » sont légions, Google à l’appui. Avec humour, l’auteur va plus loin : sur ShowYou, vos photos sont revendues à des entreprises à des fins publicitaires (cela fait partie des conditions dont vous avez indiqué avoir pris connaissance). Ainsi Perrine, une amie de Charles, voit sa photo associée à une marque de tampon hygiénique, à son plus grand désespoir.

 

Enjoy est angoissant donc car il concentre toute la perversion, le contrôle de l’individu, la surveillance qui résultent de ces réseaux. Mais c’est aussi un roman furieusement drôle et sarcastique car ces mêmes perversions sont tant poussées à l’extrême que l’on finit par rire de choses horribles. Mais il y a néanmoins un espoir pour nous, pauvres pécheurs du virtuel, puisque le narrateur se fait de vrais amis, reprend le contrôle de sa vie et s’ancre dans le réel. Presque une folie si l’on considère son père.  

 

Solange Bied-Charreton signe donc un premier roman « contre l’époque » à lire absolument si l’on n’a pas peur de se remettre en question.

 

Julie Lecanu

 

Solange Bied-Charreton, Enjoy, Stock, janvier 2012, 238 pages, 18,50 euros

 

1 commentaire

Une belle critique hommage. J'apprécie le regard de cette auteure dont j'apprécie la langue...euh....enfin je veux dire le style mi classique mi moderne...un style savoureux qui donne envie de courir de page en page...mais vient alors la frustration d'avoir fini trop vite....Ce livre est pour moi un vrai apprentissage du bon tempo dans la dégustation d'une chose savoureuse !