En 1956 naît "Stefan Wul", artificier de l'imaginaire.



Oms est le nom donné aux hommes, animaux de compagnie de la race des géants semi-batraciens appelée Draag. Le héros Terr, diminutif de "terrible", est un jeune om arraché à sa mère, après sa naissance, pour satisfaire les désirs d'une enfant draag. Il se découvre des capacités étonnantes de mémorisation et une passion pour le savoir auprès de sa maîtresse, Tiwa, qui n'imagine pas une seule seconde que son animal préféré puisse apprendre, en même temps qu'elle, lors de ses séances d'instruction. En effet, Terr, via son collier de soumission électronique, est soumis aux ondes transmises par le casque pédagogique de Tiwa. En grandissant, son état de servitude lui apparaît de plus en plus insupportable et contre-nature. Craignant que les parents de Tiwa ne mettent un terme à son désir de connaissances et de liberté, il décide de fuir et découvre qu'à l'extérieur, il n'est pas seul et que des oms vivent cachés. C'est le début d'une aventure fantastique pour retrouver les origines des oms et conquérir la liberté pour tous les humains. Et une interrogation sur le devenir des civilisations.


La bande dessinée est tirée du livre éponyme Oms en série de Pierre Pairault (1922-2003), plus connu sous le pseudonyme de Stefan Wul, un des auteurs les plus importants de la science-fiction française.
Écoutant son père qui ne croyait pas dans l'utilité des études littéraires (il fallait bien gagner sa vie !), il obtient après la Seconde Guerre mondiale le diplôme de chirurgien-dentiste et s'installe avec sa femme en Normandie. 

" À mon retour, on [Henri, son père] m'a fermement laissé entendre que je devais apprendre un métier. J'ai choisi la dentisterie parce que j'imaginais ces études faciles. Erreur ! Et j'avais mis le doigt dans un engrenage conformiste dont j'espère m'arracher un jour..." (1)

Travaillant dans son cabinet médical toute la journée, il écrivait en peu de temps, à six heures du matin, des histoires de science-fiction. Deux lignes par minute ! 

En lisant ses œuvres, cette écriture pressée saute aux yeux. Des phrases courtes. Pas de fioritures. L'auteur écrit même sans canevas préétabli. Son imagination se déploie au fur et à mesure que le récit avance. Le texte est toujours très simple, naïf mais agréable. Paradoxalement, l'univers est d'une richesse incroyable. Par le jeu des sensations et des couleurs, on visualise sans peine les paysages exotiques qui rappellent par endroits ceux de l'Afrique, un "continent fantasmé" (Laurent Genefort) depuis l'exposition coloniale de Vincennes en 1931 qui l'a tant marqué enfant. Pour Serge Brussolo, Wul est un "artificier de l'imaginaire". On ne dira pas mieux.

Mais pourquoi s'est-il lancé dans la science-fiction ? En fait, c'est par pur hasard après un pari avec sa femme, déçue par la lecture d'un roman qu'elle venait d'achever.

"Nom d'un chien, ce que c'est mauvais ! Tu devrais essayer, tu ferais bien mieux !" Son mari, par fantaisie, accepta le défi : "Je vais t'écrire un roman de SF, et celui-là sera bon !" (2).

Prolifique, c'est entre 1956 et 1959 qu'il publiera onze romans parus dans la mythique collection "Anticipation" chez Fleuve Noir. C'est le temps de la décolonisation française. Cela a son importance puisque la guerre de libération des oms rappelle celles des peuples de l'Empire français. Parmi ses œuvres, citons entre autres les désormais classiques Niourk, Oms en série (que René Laloux a adapté au cinéma sous le titre La Planète sauvage, avec des dessins de Roland Topor), La Peur géante ou Piège sur Zarkass. En dehors de quelques nouvelles et recueils de poésie, Stefan Wul ne retrouvera le chemin du roman qu'en 1977 avec Noô. Ce sera son dernier !

Et pourtant, s'il a incontestablement influencé de nombreux auteurs francophones (Laurent Genefort, Moebius, Jean-Claude Mézières...), l'écrivain n'est malheureusement pas très connu du grand public. On l'a vu, il n'a pas fait de sa passion son premier métier. Et il a surtout cessé de publier pendant une quinzaine d'années. Difficile dans un contexte peu favorable à la SF, genre longtemps décrié en France (il en reste des traces dans le monde de l'édition et la presse), de se faire connaître en dehors des initiés. Ensuite, d'autres (jeunes) auteurs ont éclipsé les œuvres de Stephan Wul quand un "courant" a eu droit de cité dans les années 1970Une anecdote illustre mon propos : pour préparer cette chronique BD, j'ai été contraint d'emprunter ses romans dans... plusieurs médiathèques près de chez moi. Je voulais me donner une idée d'ensemble du travail de l'écrivain. Connaître deux ou trois titres n'étaient pas suffisants. À ma grande surprise, beaucoup n'y étaient pas. J'avais le choix entre Amazon ou contacter l'éditeur Bragelonne (voir plus bas). C'est un des inconvénients d'habiter en zone périurbaine, à vingt-trente kilomètres de Paris. Le désert culturel n'est pas loin.

Les choses devraient heureusement assez vite bouger. D'abord, dix ans après sa disparition, les éditions Bragelonne ont eu la bonne idée de publier "l'intégrale", en quatre volumes, des œuvres de Pierre Pairault (le dernier paraîtra en décembre 2014).

 
Ensuite, c'est surtout dans la bande-dessinée que Stefan Wul jouit d'une nouvelle notoriété. Et quel hommage ! Quelle fête plutôt ! Les éditions Ankama ont ainsi obtenu la collaboration de grands noms du neuvième art pour le "ressusciter" (le mot est de l'éditeur, promo oblige). Parmi eux, le dessinateur américain Mike Hawthorne (Oms en série) qui vient de l'univers des comic-books (G.I. Joe Origins, Machine Teen, The Punisher chez Marvel comics) mais aussi Olivier Vatine (Niourk), l'auteur de la célèbre BD écolo et futuriste Aquablue, pillée sans vergogne par James Cameron dans son film Avatar. Les scénaristes qui les ont rejoints ne sont pas moins connus. Il y a par exemple Valérie Mangin qui a illuminé de ses textes Les Chroniques de l'Antiquité galactique chez Soleil (Le Fléau des dieux, Le Dernier troyen, La Guerre des dieux) ou Jean-David Morvan, l'auteur à succès de Sillage chez Delcourt.

Justement, ce dernier qui signe le scénario d'Oms en série a respecté dans le premier tome l'esprit et le texte de Stefan Wul, aménageant quand c'était nécessaire et à la marge, quelques modifications à l'original (3). Il s'en écarte davantage dans le second tome quand Terr retrouve son frère jumeau. Les premiers contacts sont assez drôles. On ne vous en dit pas plus. 

Le choix de Mike Hawthorne pour représenter les Draags était judicieux. Ils semblent en effet tout droit sortis, avec leurs tenues et leur anatomie "extra-ordinaire", des comics américains. Leur monde froid et coloré avait besoin de la patte d'un auteur américain habitué à ce type d'univers.

Les éditions Ankama ont encore frappé un grand coup, pour le bonheur des amateurs de SF et de l'univers si original de Wul.

À lire sans modération. On conseille toutefois de commencer par le roman avant de découvrir l'adaptation en bande dessinée. Soixante ans après, cette autre "planète des singes" n'a pris aucune ride.


Fazia Kanes et Mourad Haddak

Jean-David Morvan et Mike Hawthorne, Oms en série, tome 2 : L'Exom, Ankama, "les Univers de Stefan Wul", octobre 2014, 13,90 euros

(1) Introduction de la nouvelle Le Bruit, in Fiction, juillet 1957.
 
(2) D'après F. Truchaud, "rencontre avec Stefan Wul", in Galaxie, n° 80, 1971.

(3) Ce n'est pas le cas d'une autre série, La Peur géante adaptée par Denis Lapière et Mathieu Reynès. On regrette de ne pas retrouver l'ambiance tendue du roman, presque angoissante. Stefan Wul avait en effet réussi à créer des accents hitchcockiens.

Les renseignements biographiques sont tirés de la remarquable postface écrite par Laurent Genefort, in Stefan Wul, l'intégrale, tome 1, Bragelonne, 2013, p. 403.
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