Stéphane Beau, Hommes en souffrance : Un pavé dans la mare

Sacré Stéphane Beau ! Rarement là où on l’attend, et en tout cas jamais du côté du politiquement correct ! Comment, voilà un auteur qui passe d’ordinaire pour être un « homme de gauche » (pour faire simple, très simple même, il est en réalité beaucoup plus complexe) qui s’en prend allègrement dans son dernier essai à l’un des bastions inébranlables de cette même pensée, le Féminisme (en tout cas dans ses orientations les plus radicales), osant s’attaquer à un tabou tellement prégnant que même son nom nous échappe, la misandrie ( qui peut se définir comme le sexisme anti hommes).

Je reconnais avoir eu quelques doutes, et même, soyons honnête, quelques craintes, à l’époque où le livre n’avait pas encore paru, lorsqu’il m’esquissait les grandes lignes de son contenu. Est-ce qu’il allait nous la jouer Génération réac  (pour reprendre le titre d’une couverture récente du Nouvel Obs) ? Allait-on le voir entonner d’une voix de fausset C’est mon fils ma bataîîîlle, fallait pas qu’elle s’en aîîîlle du pas regretté castrat Balavoine ou, version plus actuelle, Le droit des pères, unissant ses bêlements à ceux du chanteur Cali, qu’on n’apprécie jamais autant que lorsqu’il se tait ? Notre Zorro moderne, protecteur du veuf, du mari et de l’orphelin en souffrance allait-il user de la panoplie des clichés et des arguments les plus éculés contre les droits des femmes, ceux-là mêmes dont un Jean Cau ou un Michel Droit jadis, un Denis Tillinac ou un Eric Zemmour aujourd’hui, font leurs choux gras ?


Craintes vite dissipées, quand bien même le suspense n’était pas insoutenable non plus, à la lecture de ces cent-vingt pages. Il n’est guère de paragraphes (c’en est d’ailleurs parfois un peu redondant) où l’auteur n’exprime sa profonde empathie avec les femmes victimes (de leurs conjoints, de violences, de harcèlements, de discriminations…). Pour l’anecdote, Stéphane Beau n’hésite pas à condamner la violence mortifère d’un rocker français – icône de la gauche bobo et de l’auteur de cette note de lecture – qui se voit ici qualifié sans complaisance de brute. L’essayiste, dans la « vraie vie » est un travailleur social. Des femmes maquillées au N°5 de Cantat, autant vous dire qu’il en rencontre souvent !


Bon alors, il est où le problème ? Ben, le problème c’est que le sexisme fort justement honni fonctionne aussi dans les deux sens ! Autrement dit, des hommes humiliés, battus, dominés, privés de dignité par leurs conjointes, ça existe aussi ! Sans aller jusque-là, l’asservissement aux corvées ingrates du quotidien n’est pas l’apanage du sexe féminin (rappel utile que le quotidien ne se résume pas aux tâches ménagères, et que la vidange de la voiture ou le bricolage indispensable n’épanouissent pas forcément tous les hommes, comme certaines femmes semblent le croire !) Et c’est là que le témoignage prend tout son sens. Certes, Stéphane Beau sait bien que quelques cas isolés ne font pas une loi statistique. Mais il rappelle fort opportunément que l’addition de cas isolés commence à peser beaucoup dans la balance ! D’autant plus qu’on sait que nombre d’infortunes (je parle ici de ce qui relève du délit) ne sont pas recensées parce que non déclarées, voire même (si, si !) déclarées mais non recensées ! Le problème n’est pas nouveau, on le connaît déjà par exemple avec les statistiques du suicide (Ainsi la Suède, qui possède l’outil le plus performant de recension, est-elle fort naturellement inscrite en tête des Etats. Certains suicides d’adolescents en France ne sont pas déclarés comme tels). Par ailleurs l’auteur dénonce une attitude qu’il connait bien, puisqu’il l’a rencontrée parfois chez ses confrères assistantes sociales : le réflexe idéologique (où à tout le moins culturel, imprégné dans l’inconscient collectif) qui consiste à croire à priori, et sans même se poser de questions, le témoignage d’une femme contre son conjoint, au seul motif qu’elle est une femme, et donc forcément une victime.


Au terme de l’essai, il plaide pour une société harmonieuse, qui serait le fruit d’un combat commun des hommes et des femmes, qui ne s’épuiserait pas dans des querelles vaines, et très souvent non fondées, de genres. Et qui ne se tromperait pas de cibles : il est d’ailleurs étonnant de voir que le féminisme, d’une manière générale, est présenté et souvent vécu comme une pensée « de gauche », alors que tout, dans sa logique, tend très visiblement vers la droite (note en page 79). Jugement péremptoire et excessif ? Si on admet, par exemple, que le libéralisme est l’organisation optimale des forces productives pour tendre vers un maximum de profit, Beau rappelle ironiquement que le travail, facteur d’aliénation des hommes, n’a peut-être pas autant libéré la femme qu’elle l’aurait souhaité, et que se battre pour aller bosser n’est pas forcément un objectif incontournable (on reconnaît ici ses sympathies libertaires !).


Stéphane Beau va sans doute choquer et même fâcher certains et certaines, mais c’est ce qui arrive à ceux dont la plume érafle les murailles de l’ignorance et de l’injustice. L’avertissement qui figure sur la quatrième de couverture, et qui est repris sous d’autres formes dans le corps du livre, a de fortes chances de se vérifier. Comme il le rappelle, ceux qui partagent d’habitude ses opinions ou ses conceptions risquent de le mettre en quarantaine idéologique. A l’inverse, et c’est plus embêtant, il risque d’être soutenu par certains dont il est loin de partager les idées dans d’autres domaines. Qu’importe. Je crois sincèrement qu’il n’en a cure. Son pavé dans la mare, s’il l’éclabousse, n’en restera pas moins un acte authentique, une parole libre qui dynamite le conformisme ambiant. En ces temps de pensée chloroformée, on a toujours besoin d’un trublion.

 

Philippe Ayraud

 

Hommes en souffrance, Stéphane Beau, éditions Les trois génies, novembre 2013, 225 pages, 13,90 €

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