Alexandre Gamberra, une passion SM

Alexandre Gamberra est un universitaire qui pratique le SM depuis l’âge de 20 ans.   Il  publie sous ce pseudo (qui le dissimule si peu)  aux éditions Tabou, des textes introspectifs  fort intéressants sur l’érotisme, le sexe et la pratique SM.


Un amour sans merci explore les tenants et les aboutissants du lien maître/soumise et surtout de celui de nature  amoureuse  qui le lie à Tristars, sa jeune amante américaine de 23 ans dont il dirige la thèse ayant pour thème la  femme surréaliste. Il n’échappera pas au lecteur que l’étudiante succombe à un pouvoir facile, celui de l’enseignant et de l’homme mûr, terreau de la relation dominatrice.  Le  schéma est classique et attendu mais le récit de Gamberra ne l’est pas du tout, bien au contraire, le point de vue très cérébral du dominateur ne manque pas d’intérêt,  ça change des romans d’autofiction très redondants des soumises. Gamberra s’attache à la plus grande lucidité, il scanne leur relation, débusque les postures de Tristars et autopsie ses propres égarements amoureux. Les dés ne sont-ils pas pipés dès le départ ?


Si le fameux contrat a bien été consenti par l’étudiante fortement troublée à l’idée de se soumettre,  l’amour s’invite et complique tout. Et voilà ce qui pousse Gamberra jusque dans ses retranchements, les histoires d’amour finissent mal en général…  Gamberra guide Tristars sur le chemin épineux du désirdéviant et de la jouissance féroce. La capacité de la jeune femme à progresser le ravit, par amour de lui et par goût de  leur liaison transgressive, elle accepte et réclame les sévices humiliants ou cuisants,  la prostitution, l’anneling et même la sulfureuse zoophilie.  Sa perversité et sa docilité transcendent son amour pour elle, un amour qui aveugle l’auteur, il aime passionnément sa princesse catin.  Et ça, c’est le pouvoir  trompeur du pouvoir même.  Le contrat de soumission signé n’est pas un contrat d’assurance amoureuse et c’est curieux que jamais Gamberra ne prenne conscience de  cette confusion.


Ils vivent leur liaison pleinement, le sexe n’est pas cloisonné, il est le fil rouge de leur histoire par ailleurs fortement intellectuelle. Mais Tristars qui ne cesse de dire et d’écrire à Gamberra qu’il est songrand mystère, l’amour de sa vie, son maître, va commencer à donner des signes de détachement. Elle doit pour ses études souvent s’absenter à l’étranger et lutter contre sa famille pas très enthousiaste à leur liaison. Gamberra commence à douter, il souffre atrocement et ne la comprend plus, lui reproche de ne pas respecter leur contrat et leurs promesses d’un avenir commun. Tristars évoque leur différence d’âge, ils doivent se quitter. Ce miroir tendu de l’homme vieillissant lui fait l’effet d’une gifle.  C’est à cet instant de doute d’ailleurs qu’il lui met en tête la transgression suprême, celle de la zoophilie. Et  c’est alors même qu’elle  relâche leur lien, qu’elle va accepter, et même s’impatienter d’expérimenter cet ultime affront à la morale.


On ne peut pas reprocher à Gamberra d’être malhonnête, il relate des faits jusque dans leurs détails et n’épargne ni Tristars ni lui-même. Mais au fil des pages, je mesurais combien l’exercice du pouvoir égare. La fascination  à guider son amante là où il  veut l’emmener, à s’emparer de sa volonté lui fait larguer les amarres avec la réalité. J’ai été frappée de la dureté de jugement de Gamberra :  Tristars est égocentrique, incapable de s’inscrire dans la durée, lâche, elle se range lamentablement pour une vie terne.  Mais pourtant elle n’est rien de tout cela dans le cadre de son contrat SM. C’est le désamour qui achève Gamberra et le renvoie à sa réalité d’homme mûr, déjà un peu  hasbeen pour Tristars dans la fleur de sa jeunesse. Tristars n’a jamais failli dans sa condition de soumise, elle est juste partie et Gamberra en crève.


Et puis, m’est venu à l’esprit que jamais ces maîtres ne s’interrogent, au-delà du consentement et de la fulgurance réelle des jouissances de leur soumise, sur la difficulté, à la longue, même inconsciente, pour une femme de livrer son  corps aux excès et à la démesure. Assurément il est plus facile d’exercer son pouvoir cérébralement sans s’exposer, sans  rien donner de son corps, de sa peau, de sa chair, de ses tripes, que de les livrer en pâture même en jouissant.

Il n’en reste pas moins vrai que le récit de cet Amour sans merci  est prenant. Fait très rare dans ce genre de roman, tout a un sens, le cheminement intime et géographique dessine leur histoire.  Alexandre Gamberra touche par sa sincérité, sous son orgueil de mâle dominateur pointe sa fragilité. C’est un fort joli texte.


Anne Bert


Alexandre Gamberra, Un amour sans merci, éditions Tabou, 2008, 206 pages, 9 euros.

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