Araki, rétrospective

Première rétrospective en France de l’œuvre du plan grand photographe japonais – il était temps ! Araki n’est plus tout jeune… – cette exposition (et ce superbe catalogue présentant l’intégralité des œuvres exposées) offre au public une vision synoptique des cinquante dernières années de création. Avouons que si le plaisir est (parfois) dans l’escalier, d’autant plus aiguisé qu’en 2008 Philippe Forest nous avait enfin donné matière à satisfaire (partiellement) notre appétit, rien ne vaut, en photographie comme en peinture, de pouvoir constater, éprouver, savourer in situ l’œuvre en tant que telle, à part entière, si j’ose dire…

Dans ce périple sensuel et érotique, tout débute par un jardin d’essences où fleurs, pétales et pistils sont croqués au plus près, au plus juste du mariage des formes et des couleurs : peintures glacées sur papier argentique qui révèlent un ailleurs poétique au-delà de la simple plante surprise dans l’extase d’un autre possible.
Car « des profondeurs des photos de Nobuyoshi Araki sourd la quintessence de la culture japonaise », affirme Tadao Ando dans sa préface. Araki qui rit avec les gens, Araki qui vise juste avec son appareil photo.

 

Son regard perçant métamorphose l’instant saisi : « La photographie est la vie, le quotidien est un art », nous dit l’artiste. Voilà pourquoi, vous comme moi, sommes saisis, visuellement et émotionnellement, dès que nos yeux se posent sur un cliché d’Araki.
C’est donc bien dans la vie quotidienne qu’Araki ira puiser l’inspiration car, contrairement à l’art occidental qui germa au sein de la société aristocratique, l’art japonais – tout comme l’ukiyo-e ou le kabuki – est né au sein de la société populaire. La véritable beauté se trouve donc enfouie au sein même de la vie des gens. C’est à partir de cette conviction qu’Araki a conçu tout son travail. Lequel demeure sous le label de l’artisanat, pellicule à l’ancienne – point de numérique ! et investissement maximum, sa vie, son âme sont en jeu à chaque cliché. Il y a ici plus que de la détermination ou de la conviction, il y a un engagement total qui fait que la photographie est la vie d’Araki.

 

Toutes ces femmes ligotées ne sont-elles pas, aussi, parfois, légèrement tristes, oublieuses d’un plaisir à venir, d’un désir disparu, quête d’un mirage, affirmation débordante vers un au-delà des permissions pour tenter d’ébranler les certitudes ? L’outrance en remède au bovarisme lancinant qui s’invite trop souvent chez la femme inoccupée, coucou pervers qui pousse chaque petit désir hors du nid pour se vautrer dans la vacuité du mépris de soi… Alors quitte à y perdre son âme, la provocation brûlera les anathèmes sur l’autel caravagesque de mises en scène baroques, l’érotisme n’est-il pas l’approbation de la vie jusque dans la mort ? (Bataille)
Mais la froideur du support photographique se verra déchirée par l’œil de celui qui. Passant de l’incarnation à l’incandescence, la vie réintègrera l’image.

 

C’est alors que la magie opère : on la laissera donc à l’appréciation de chacun, car tout a déjà été écrit sur Araki, tout est son contraire ; lui-même a donné pléthore d’entretiens, créant toujours plus de points de fuite, brouillant les pistes. Fuyons donc, avec l’aval d’Henri Laborit, et contentons-nous de regarder…

Difficile d’imaginer le calvaire des commissaires pour arrêter un choix parmi les milliers de photographies que l’artiste a réalisées de 1965 à 2016, depuis l’une de ses séries les plus anciennes intitulée Théâtre de l’amour (1965) jusqu’à des œuvres inédites, dont sa dernière création (2015) réalisée spécifiquement pour le musée sous le titre Tokyo-Tombeau.

 

Après une première découverte de la presque totalité des livres conçus par Araki suivie d’une introduction aux grandes thématiques de son œuvre – les fleurs, la photographie comme récit autobiographique, sa relation avec son épouse Yoko, l’érotisme, le désir, mais aussi l’évocation de la mort – l’exposition évoque son studio, son laboratoire d’idées.

En effet, depuis la mort de sa femme, Araki photographie chaque jour le ciel, et monte des panneaux de ses clichés, martelant l’idée du temps qui fuit… Quand il n’intervient sur ses propres négatifs ou recouvre ses images de calligraphies ou de peinture, dans un geste audacieux et impertinent qui démontre l’humour et l’humilité dont il fait preuve.

 

Notons, comme le stipule la loi que cette exposition présente des œuvres de nature à heurter la sensibilité d’un public jeune ou non averti.

MNAAG - jusqu'au 5 septembre 2016
6, place d’Iéna, 75116 Paris
Métro : Iéna / Trocadéro / Boissière
Bus : n° 22, 30, 32, 63, 82
Tarifs : Plein tarif : 9,50 € - Tarif réduit : 7 €
www.guimet.fr

 

François Xavier

 

Jérôme Neutres (sous la direction de), Araki Nobuyoshi, préface de Tadao Ando, 200 x 260, broché sous jaquette, 719 illustrations, Gallimard/MNAAG, avril 2016, 304 p. – 39,90 €

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