Tom Clancy est vraiment mort (Lecture de Chef de Guerre)




Tom Clancy est décédé le premier octobre 2013 à 66 ans. Il aura eu une carrière rapide de romancier d’espionnage, lancée par l’incontournable Octobre Rouge, suivi par les non moins intéressants Jeux de Guerre et mon préféré, le Cardinal du Kremlin, publié en France chez Albin Michel en 1989. Il est un auteur typique de la génération de la guerre froide, de même que Ludlum, qui a su équilibrer son manque de connaissances des Services par un travail expert de recherches quasi encyclopédiques, une plume agréable et un savoir-faire particulier et original d’un nouveau genre pour l’époque, le thriller d’espionnage.

 Je voudrais qu’on se rappelle ici la trame psychologique et les personnages d’Octobre Rouge, la description des rôles des officiers dans la marine soviétique, celui du commissaire politique, l’ambiance et les hiérarchies dans l’équipage, entre marins, officiers mariniers et officiers. Il se dit que l’ouvrage est enseigné dans les académies navales américaines pour que les aspirants officiers se souviennent que la marine russe est l’héritière de l’Armée rouge, aussi.

 C’est, me semble-t-il, ce qui manque à son nègre actuel qui a repris, depuis les derniers temps de la maladie de Clancy, les aventures de Jack Ryan, l’espion de la CIA qui est devenu président.

 Il est vrai que l’exercice est difficile, mais j’avais apprécié la reprise du James Bond de Flemming dans Solo par William Boyd, ou plus récemment celle de Maurice Leblanc dans ce rapide et amusant La nouvelle vie d'Arsène Lupin d’Adrien Goetz (éditions Grasset, 2015). Il me fallait donc essayer la résurrection littéraire de Tom Clancy, parti trop tôt.

 Mais, dans le genre particulier de l’espionnage, surtout à la dimension d’un auteur américain qui bâtit scène par scène à l’aide d’un logiciel, l’écriture est le support d’un montage qui ne doit son efficacité qu’aux recherches que l’écrivain  - ou son équipe dans les grosses productions américaines - accumule au préalable. Ici, c’est le premier manque indubitable : l’auteur imagine le scénario (en gros, Poutine veut conquérir l’Europe… ) et invente en couverture les scènes et les détails, très wikipédiens, jamais contre-vérifiés, qui font bondir les amateurs de romans bien ficelés.

 Par exemple, j’ai souri à la première page, deuxième paragraphe, quand Greaney nous affirme qu’un capitaine ultra décoré du GRU n’a jamais vu d’autres drapeaux de l’Union soviétique que sur les uniformes de ses collègues. Il relate plus loin la conversation hallucinante entre un officier du KGB félon avec cet officier, dans un temps – la fin du règne de Tchernenko -  du retour au puritanisme communiste, avec son lot de suspicions généralisées et la reprise en main de l’Armée affaiblie par la faillite de ses stratèges en Afghanistan. Dans cette guerre des services, le garde à vous d’un officier du GRU devant un civil qui ne s’est pas présenté en poste et grade est une injure qui a dû faire frémir le responsable de cette unité. Je me le suis imaginé notant la fiche de lecture pour la bibliothèque spéciale de l’Aquarium… Le grand complot des riches soviétiques créant un club pour prendre en main la destinée de l’URSS ne m’a pas intéressé parce qu’elle contredit tout le reste du sujet : le retour d’une grande Russie entre les mains d’un président, dont la carrière au KGB et au FSB est « un détail presque oublié ». À ce sujet, Volodine est milliardaire avant l’épisode de la mairie de St Petersbourg, il est malingre et peu sportif…

Enfin, la description des forces en présence (nous sommes, d’après la mention figurant en deuxième de couverture, en août 2013) n’est pas réelle, surtout en Ukraine et en Crimée. Elle pèche par un approximatif qui est dommageable pour la crédibilité de l’ensemble, surtout quand le roman prétend prédire les événements ukrainiens.

 Si vous n’êtes par regardant, ou non expert en stratégie (et encore moins écrivain de romans d’espionnage) vous prendrez un réel plaisir toutefois à vous laisser entraîner dans cette aventure un peu longue, mais écrite au « page turner », arrosée de nombreux dialogues et de personnages que l’auteur a su réinventer sans trahir les originaux de Clancy.

 J’ai lu les deux tomes en quelques soirées, arrêtant vite de souligner les erreurs et la méconnaissance du monde russe par l’auteur, ainsi que ses faiblesses en polémologie contemporaine. Il s’agit d’un divertissement à prendre comme tel, très loin de l’univers complexe de Tom Clancy, qui aurait dû être signé Mark Greaney.

 

Pour le reste, chez Albin Michel, je vous recommande l’excellent Et le coucou, dans l'arbre, se rit de l'époux, (Albin Michel, 2005) qui traite de ce sujet particulier des espions de la Guerre froide, oubliés dans un monde qu’il n’ont pas désiré. Cela rétablira l’équilibre pour l’éditeur, et vous sauvera de 40 euros de dépenses…




Patrick de Friberg


Tom Clancy, Chef de Guerre, Albin Michel, novembre 2015(paru sous le titre Command Authority, Rubicon 2013)

tome 1 : 416 pages, 20 eur

tome 2 : 400 pages, 20 eur

 

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