"Southern Bastards - tome 1", ici repose un homme

Craw County, Alabama : un bled misérable, typique du Sud des États-Unis, où règne Euless Boss, un sale type craint de tout la ville : l'entraîneur de l'équipe de foot locale et propriétaire de l'unique restaurant-grillade-barbecue.

Earl Tubb, sexagénaire en pleine force de l'âge, rentre au pays pour nettoyer la demeure familiale avant de la vendre. Earl ne compte pas passer plus de trois jours à Craw County avant de retrouver sa famille. Seulement, il est le fils de l'ancien shérif, et très rapidement, son passé va le rattraper. Un drame se prépare à Craw County…


Les offices de tourisme d'Alabama apprécieront : Jason Aaron et Jason Latour décrivent ici le Sud des États-Unis exactement comme on peut l'imaginer quand on n'y habite pas : sec, âpre, et revêche. Et surtout comme on peut le craindre, c'est-à-dire hostile. Les auteurs jouent habilement, et sans tomber dans la parodie, sur les stéréotypes de l'inconscient collectif. Si tu n'es pas né ici, tu es un étranger et tu n'as rien à faire dans le Sud.


S'il y a beaucoup d'humour dans le travail d'Aaron et Latour, c'est pour compenser l'incroyable noirceur de ces contrées du Sud, en faillite économique et sociale et qui engendre ses propres monstres humains. Les auteurs parviennent à saisir le chaos et la barbarie qui suintent sous le vernis de la civilisation. "La civilisation n'est qu'une interruption fortuite et toujours temporaire de la jungle" (1), écrivait le philosophe et historien Will Durant. Et les auteurs évitent de tomber dans le piège qui consisterait à évoquer le passé raciste de cette région.


Scénariste de talent découvert grâce au terrible Scalped (édité en France toujours chez Urban Comics), puis confirmé sur des titres plus grands publics (Wolverine and The X-Men et Thor : God of Thunder, lectures conseillées), Jason Aaron nous propose aussi le portrait d'un fils : Earl revient à Craw County après de longues années passées, on le comprend vite, à fuir un père qu'il déteste. Dès les premières pages, la tragédie se met lentement en route, même Earl dans une scène magnifique clame qu'il lui faut fuir cette ville, son passé, mais bien entendu, il va en aller tout autrement. Et on sent bien que Southern Bastards ne se terminera pas dans la joie et la bonne humeur. Le Clint Eastwood de Gran Torino ferait des merveilles dans le rôle de Earl, si un jour l'histoire était adaptée.


Un mot sur le travail graphique de Jason Latour. Presque tous ses personnages dégagent une impression d'obscénité, de brutalité et de disgrâce. Ses tableaux de l'Alabama respirent la répulsion, la sueur, la misère. On est bien loin du glamour que l'État a voulu vendre dans les années 40 en s'affublant d'un sobriquet gentillet : "Le Cœur de Dixie". Grâce à des flash-back judicieusement dosés et disséminés, Latour éclaire les événements sous un angle violent, relevé de couleurs vives. Tout son travail graphique consiste à faire monter la pression, jusqu'à la conclusion de ce premier tome qui laisse pantois.


Southern Bastards est un véritable "crime comics" post-moderne, un uppercut comme il en existe trop peu dans le petit monde des comics. Le tome 2 sort en juin prochain : l'attente sera longue.



Stéphane Le Troëdec


(1) "Civilization is the occasional, and always temporary, interruption of the jungle"




Jason Aaron (scénario), Jason Latour (dessins et couleurs)

Southern Bastards, tome 1 : Ici repose un homme

Édité par Urban Comics (20 mars 2015)

Collection Urban indies

112 pages

10 euros (prix spécial de lancement)

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