Alix, Avec Mangin et Démarez, ne doit pas prendre sa retraite : 50 ans, c'est trop jeune...

Certains héros de bandes dessinée survivent à l'épreuve du temps qui les vieillit et/ou fait – suprême outrage – disparaître leurs auteurs. Un des meilleurs exemples est Blake et Mortimer : Edgard P. Jacob a beau être mort et enterré, ce duo d’anglais sentant la gomina et le tweed, l’un professeur et l’autre militaire du MI5, continuent de nous ravir par leurs aventures.

Mais toujours se pose l’éternel débat : faut-il être puriste et ne pas continuer une série dès lors qu'elle est privée de son ou ses auteurs originels ? Ne faut-il voir dans la volonté et  l'acharnement à la faire durer/perdurer que le fruit d'un calcul commercial auquel un éditeur est prêt à sacrifier l'artistique ? A vous de donner votre point de vue (dans les commentaires en dessous) !

 

Toujours est-il qu’Alix est de ces héros-là ! Mais il y a un point un peu particulier dans la poursuite de ces histoires : Jacques Martin, son créateur, l’a lui-même organisée. L’homme vieillissant, il s’est adjoint des aides. Puis perdant petit à petit la vue, il a lâché le crayon pour ne garder que la plume et, au final, ne contribuer à l’œuvre qu’en écrivant les synopsis de ces œuvres.

L’homme est mort, d’ailleurs, un 21 janvier. En 2010 plus précisément. Et ses héritiers ont décidé de continuer : Alix n’appartient pas qu’à Jacques Martin. Il appartient à ses lecteurs !

 

Mais voilà, un jour, quelqu’un s’est posé la question : "Et que deviendrait Alix après les conflits ayant opposés César à Pompée puis Octave à Marc-Antoine ?". En effet, le gaulois (d’origine, mais adopté par un romain) est un fidèle de César lors du premier triumvirat, la période trouble précédant la seconde guerre civile. Que devint-il lors de cet affrontement ?

Et Valérie Mangin, historienne et scénariste de BD, de répondre à cette question : "Alix a tout simplement aidé le camp de César face à celui de Pompée puis soutenu son ami Octave. Celui-ci, pour le remercier, l’a alors nommé au Sénat." 


En l’an 12 avant J.C., Alix est donc devenu Sénateur. Il participe donc à la grandeur de Rome. Mais Rome, l’unique objet du ressentiment de Camille Horace, Rome qui immole pour sa grandeur tant de valeureux hommes, Rome, est une amante exigeante qui prélève le tribut du sang. Et lorsque Lépide le Grand Pontife, ancien rival d’Octave et de Marc-Antoine, rejoint Pluton, lorsque Agrippa le valeureux soldat suit le chemin du grand prêtre, Alix reçoit pour mission du Princeps de mener l’enquête.

Car l’homme le plus puissant du monde a ordonné que tous les témoins des drames mentent : Lépide et Agrippa sont officiellement – et historiquement – morts de maladie. Personne ne doit savoir qu’un aigle est venu leur déchirer l’abdomen de ses serres recouvertes d’or. Car le peuple verrait, dans cette sentence digne de celle de Prométhée, un désaveu de Jupiter envers l’Empereur. Auguste ne peut se le permettre : la puissance impériale est malgré tout soumise au divin ! Alix mène donc l’enquête, perplexe : les rapaces ne s’attaquent jamais aux hommes et dresser un aigle est impossible. Tout du moins, personne n’a jamais réussi !

Mais tout cela est sans compter l’insouciance de Titus et Khephren, les fils d’Alix et d’Enak le disparu…

 

La série reprend donc de plus belle, en parallèle des aventures du jeune Alix. Le duo composé de Valérie Mangin au scénario et de Thierry Démarez au dessin se lance dans une nouvelle aventure avec, d’une certaines manières, un nouveau héros : calme, posé, Alix a bien changé. Mais il reste un esprit fin et… chanceux ! Le vaillant gaulois parcourant la mare nostrum a disparu pour laisser la place à un politicien. Fin, prudent et – qui sait ? – calculateur, il enquête en déléguant des tâches qu’auparavant il aurait accomplies lui-même.

Ainsi donc, c’est un réel vieillissement qui lui a été offert. Car s’il reste fidèle en tout point à ses principes de jeunesse, on sent en lui l’homme qui a vécu et mûrit qui utilise parfaitement tous les moyens mis à sa disposition plutôt que de se lancer tête baissée dans l’aventure !

Au niveau visuel, force est de reconnaître que les auteurs s’éloignent clairement de la ligne claire. Le style de Thierry Démarez offre une nouveauté à la série mais, parfois, rappelle un peu trop la violence et l’horreur qu’il est capable de déployer dans les magnifiques tomes de Marie des Dragons. Certains y verront une trahison à l’univers de Martin, et il est dur d’infirmer totalement leur propos. Mais il faut bien avouer une chose : tout cela est bel et bien superbe ! Un point un peu décevant ? Parfois, Alix semble juste s’être blanchi les cheveux : si l’homme est marqué par la vie, pourquoi donc paraît-il toujours aussi lisse et insouciant/conscient sur certaines cases ?


Par le passé, Mangin ne nous avait pas convaincus voire même déçus. Aujourd’hui elle s’est parfaitement rattrapée ! Démarez, quant à lui, reste l’un des dessinateurs que nous suivons avec beaucoup d’intérêt : ancien décorateur de la Comédie française, il est un homme de talent ! Toujours aussi passionnant d’un point de vue historique, contournant un peu l’histoire pour jouer dans ses zones d’ombres, Alix Senator nous offre par l’intermédiaire de ces deux auteurs une belle aventure qu’aucun bédéphile ou adepte de l’antiquité ne se doit de laisser de côté !

 

Si l’un de mes amis milite pour que certains héros prennent leur retraite, Alix s’est, lui, parfaitement reconverti et doit continuer ainsi ! Après tout, il n’a qu’une cinquantaine d’années…


Pierre Chaffard-Luçon


Lire les 10 bonnes raisons de ne pas lire Alix Senator de Valérie Mangin.


Mangin & Démarez, Alix Senator, Les Aigles de sang, Casterman, septembre 2012, 48p. - 12,95 €

1 commentaire

"Après tout, il n’a qu’une cinquantaine d’années"…Certes, les héros antiques, comme Hercule ou Astérix, sont immortels, mais 50 ans, cela en ferait carrément un vieillard du 4eme âge dans la population romaine de l'époque.

 Pour l'anecdote, je cite : "Chez les citoyens romains, la classe sociale la plus privilégiée était l’aristocratie sénatoriale. Ses membres avaient vraisemblablement une espérance de vie de trente ans environ, soit une existence plus longue de quelques années par rapport à l’ensemble de la population libre"   (source : .http://www.guichetdusavoir.org/viewtopic.php?t=38127). Tout ça pour dire  au dessinateur qu'il est quand même historiquement anormal qu'Alix n'ait pas de rides...