Vol au-dessus des châteaux

Précieux héritage des siècles, legs reçu des temps anciens, notre patrimoine architectural est sans égal ailleurs dans le monde. Civil, religieux, militaire, sans parler du patrimoine dit vernaculaire qui englobe toutes ces constructions de taille réduite - lavoirs, croix, bornes, oratoires…qui émaillent routes, villages et campagnes - il constitue un témoignage inestimable d’une civilisation entée sur l’histoire et ancrée dans le territoire, qui les a façonnés en fonction de son développement et ses évolutions et en a fait leur miroir. Les châteaux figurent au premier rang des acteurs de ce rayonnement. Dans chaque région, le patrimoine castral est impressionnant. Combien de châteaux peut-on compter ? Donner un chiffre précis est difficile. On parle au minimum de 10 000 édifices ; en réalité, il y en a beaucoup  plus. Comment bien définir le périmètre de cette recherche ? Qu’inclure, entre demeures et palais, manoirs et donjons, logis et castels, bastides et bastilles, anciennes fortifications et maisons fortes, constructions totalement en ruines, qui s’écroulent lentement, encore solides, visitables? Les actions de sauvegarde se sont multipliées depuis quelques décennies, fort heureusement. Mais dans d’autres cas, l’incurie, le manque de moyens, l’indifférence ont eu raison de nombre de sites pourtant remarquables, qui disparaissent peu à peu sous nos yeux. Selon les âges, le château cumule les rôles. Il est tour à tour lieu de pouvoir, de protection, de défense, de production, d’agrément. Austère ou orné, isolé ou en position centrale, défensif ou vigie, au milieu des collines ou des champs, reflet d’un style, rappel pour la mémoire d’époques révolues mais pas oubliées, il reste comme le notait Jean-Pierre Babelon dans son excellent ouvrage paru en 1990 sur les châteaux de la Renaissance, une « architecture de domination ».

 

Des fleurons dominent, qui sont les plus connus et attirent en priorité les visiteurs. On pense aussitôt à Versailles, Carcassonne, Fontainebleau, Vaux-le-Vicomte, Castelnaud, le Haut-Koenigsbourg, les châteaux du Val de Loire désormais inscrits au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO ce qui est une reconnaissance majeure, Chantilly, Guédelon qui est le grand défi actuel et renvoie aux origines, Pierrefonds, le château des ducs de Bretagne à Nantes, Foix...Quel est le plus beau, le plus grand, le plus inattendu ? 



Choix risqués, critères subjectifs, hiérarchie inutile, comment faudrait-il effectuer un classement juste qui aussitôt se révèlerait sans valeur ? Tous ont à la fois un intérêt historique, esthétique, affectif, résultant des goûts des bâtisseurs, de l’adaptation au contexte local, des moyens techniques d’alors, des usages, des fondateurs. Celles que l’on nomme les vieilles pierres gardent ce visage unique qui attire tant par le poids de leur passé que par l’harmonie et le caractère de leurs formes. Pas un qui ne ressemble à un autre. Cette diversité ajoute à la curiosité des traditions qui parfois les enveloppent. Il faut insister à nouveau, le patrimoine français est unique en son genre.

 

En conjuguant leur savoir-faire, les deux auteurs de ce magnifique livre font entrer le lecteur dans un circuit exceptionnel. Pourquoi ? D’abord parce que les photos qui représentent les châteaux retenus donnent ce qu’il est impossible de voir, sauf exception, lorsqu’on va vers eux par la route, c'est-à-dire le relief et les volumes. En général, les images qui circulent sont à niveau, si l’on peut dire. Elles donnent une première idée. On avance vers le château à l’horizontale en quelque sorte. Ce que l’on voit ici, c’est le château vu de haut, appréhendé depuis le ciel, observé de quelque balcon extraordinaire, sans que la distance soit trop grande afin d’en admirer les détails. Grâce à ce survol proche, le château apparaît alors dans une nouvelle dimension que le regard découvre comme une surprise, permettant à la fois d’avoir son plan complet au sol et ces parties qui disparaissent quand l’œil reste privé d’altitude. L’édifice est désormais situé dans son environnement naturel, qu’il soit plaine, lac, montagne, vallée, côte. Il est en définitive dans son cadre originel. Voici Talcy et ses clochetons aigus de tuile, Léontoing la sentinelle assise sur son âpre promontoire de roches, La Marthonie dressé comme un seigneur dans un des plus beaux villages de France, Alba planté sur ce qui fut un site romain, La Possonnière et son élégance Renaissance, Cormatin serti d’eau, Brécy entouré de la pure rigueur de son jardin, Pierreclos et son toit de losanges colorés, Vinzelles entouré de vignobles. Arrêtons là l’énumération car chaque page est un moment d’étonnement.  

 

La liste est longue de ces merveilles qui ont, si l’on pense à Paul Valery, chacune un visage, entre aménité et sévérité, selon les appareillages, les décorations, les maîtres qui y vivaient et les hôtes qu’ils recevaient. Accompagnant ces vues superbes, le texte intervient pour conter ces heures d’un passé apparemment disparu et qui pourtant se prolonge toujours, les fortunes diverses et les destins adverses, les périodes de la splendeur et les dates des batailles, les noms des lignées et les patronymes des dynasties qui se succédèrent, les anecdotes qui se transmettent, les faits qui se déroulèrent et contribuent à l’enrichissement de l’histoire nationale. Par exemple, on apprend que c’est le château de Lacoste, en ruine désormais, qui servit au « divin marquis »  de modèle pour le château de Silling dans Les cent vingt journées de Sodome, ou encore que Jules Michelet écrivit à Vascoeuil « une bonne part de sa monumentale Histoire de France ». Par bonheur et commodité, des chapitres permettent au lecteur de se repérer dans les thèmes qu’il affectionne ou souhaite connaître davantage : « résidences forcées », « assauts et résistances », « châteaux royaux et princiers », « au cœur des villes », « lieux de légendes » etc. Il est muni ainsi d’un guide avant d’entreprendre son périple. Une carte des quelques 170 châteaux retenus permet de bien les placer suivant les départements. Les sites Internet sont mentionnés. Rien de mieux pour mettre en évidence ce patrimoine, en être fier et le faire aimer.    

 

Dominique Vergnon

 

Frank Mulliez, Denis Picard, Une France des châteaux, Citadelles et Mazenod, 416 pages, nombreuses illustrations, 27,5x32,5 cm, septembre 2014, 89 euros.  

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