Faiblesse(s) du fort : Ében-Émael. L’autre vérité

                   

Dans un précédent ouvrage consacré à Erwin Rommel, le journaliste et historien Hugues Wenkin avait déjà démontré être un très fin connaisseur de l’histoire de la guerre mécanisée. Voici qu’il revient (déjà), avec cette fois un récit haletant sur la chute du Fort belge d’Ében-Émael, le 11 mai 1940. Trente-six heures d’assaut auront en effet suffi à faire tomber aux mains des soldats du Reich cette pièce maîtresse de la stratégie défensive belge, réputée à maints égards imprenables. Or, révèle Wenkin, « sous cette carapace de béton, l’héroïsme et le sens du devoir des uns se sont mêlés à l’irresponsabilité et à la couardise des autres, pour se solder en tragédie burlesque ».

Le travail est mené sur le mode d’une enquête que son aspect hyper-documenté ne transforme cependant pas en ouvrage à l’usage des seuls experts en la matière. Ében-Émael. L’autre vérité, une fois ouvert, ne se lâche plus, simplement parce que son propos passionnant est servi par une écriture qui allie maîtrise et souplesse. Et la somme à laquelle aboutit Wenkin confirme la haute tenue des « militaria » que s’attachent à publier de longue date les éditions Weyrich.

L’auteur ne se contente pas de narrer le strict déroulement des faits. Son premier soin est de resituer la déroute dans un contexte plus vaste, marqué par le désarroi et l’impréparation des forces belges face à l’ouverture d’un « troisième flanc armé », à savoir celui du ciel. Wenkin souligne ainsi, par le biais d’une anecdote révélatrice, puis d’un fait survenu en janvier 1940, que les racines du mal plongeaient bas. Il relate ainsi comment, en 1935, revenant d’une démonstration militaire à Moscou lors de laquelle des parachutistes avaient été largués en unité constituée, l’ambassadeur belge Marcel-Henri Jaspar s’était fait remballer par le ministre de la Défense nationale belge. Jaspar, impressionné par l’efficacité et l’innovation des Russes, se presse de relater ce qu’il a vu, à quoi le Général Denis répond que cette « idée romantique et slave » ne représente aucun danger et que « nous n’attachons à ce genre d’acrobatie aucune espèce d’importance ».

L’affaire de Mechelen-aan-de-Maas est elle aussi symptomatique de l’impréparation des unités du pays à l’éventualité d’un assaut aéroporté. Le 10 janvier 1940 (soit quatre mois jour pour jour avant l’invasion), un avion avec à son bord deux officiers allemands s’écrase sur le territoire belge. Les miraculés sont arrêtés et l’on saisit dans leurs affaires des plans détaillés, manière de répétition générale de l’attaque de la France via la Belgique ! Cette découverte, qui aurait pu s’avérer capitale, ne provoquera en rien la correction de la vulnérabilité aérienne d’Ében-Émael…L’incurie se verra maximisée par l’inconfort politique de la Belgique, au statut de pays neutre depuis 1936 mais qui, riche des enseignements de la guerre précédente, se doit d’assurer sa défense sur un front très vaste, courant de Maeseyk jusqu’à Anvers. Le Canal Albert en devient le point crucial, il est pourtant des plus fragiles…

Nous plongeons ensuite dans les archives et les entrailles du fort. Un voyage sinueux entre papier et pierre, entamé en 1887, lorsque la Belgique de Léopold II, craignant déjà une agression venue d’Allemagne, décide de fortifier trois de ses grandes villes, Namur, Anvers et Liège. Mais malgré son apparente puissance, Ében-Émael demeure un « colosse aux pieds d’argile », dont les principaux points faibles et les failles se comptent moins dans les murailles qu'au sein de son personnel ! La forteresse est en effet peuplée d’officiers souvent derniers de promotion, qui y ont abouti par pis-aller, et de réservistes inexpérimentés, mal formés aux techniques et au matériel d’infanterie.

Et en face… En face, ils trouveront les Fallschmirjäger, les chasseurs parachutistes parfaitement entraînés, rompus aux manœuvres et à une discipline de fer, honneur de la nouvelle armée de l’air allemande mise en place dès 1927. Il n’y aura pas photo, au moment de la conflagration.

Des clichés inédits, des images d’archives stupéfiantes, des plans explicatifs, l’ouvrage en regorge par contre, et mis en valeur par une mise en page somptueuse. Le récit, quant à lui nourri de témoignages de première main, permet de revivre heure par heure, et surtout de comprendre, cet événement qui sonna à la fois le glas de la défense belge et le tocsin de la Seconde Guerre mondiale…

Frédéric SAENEN

Hugues WENKIN, Ében-Émael. L’autre vérité, Weyrich, 180 pp., 32 €.

Aucun commentaire pour ce contenu.