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Je suis en vie et tu ne m’entends pas de Daniel Arsand : Les garçons et la mort

En novembre 45, le jeune homme qui arpente les rues de sa ville natale, Leipzig, n’est que l’ombre désolée de lui même. Il a passé quatre ans au camp de Buchenwald parce qu’il aime les garçons. Comment peut-on recommencer à vivre quand on a connu la haine, la peur, les viols, les coups à répétition ?

 

Les retrouvailles avec ses parents, son frère Golo, sont empreintes d’incompréhension. C’est un froid sans saison, hanté par les cris de tous les morts. Il lui faut réapprendre à manger, à respirer, à espérer. Aimer sa famille n’est pas suffisant : le jeune Klaus est devenu l’étranger, celui qui bouleverse le fragile calme revenu. "Là bas qui n’était pas si loin ne le serait jamais."

 

La France va devenir sa seconde patrie, celle où il pourra peut-être devenir lui. Daniel Arsand, Prix Femina du premier roman pour La Province des ténèbres et dont Des amants avait déjà bouleversé, livre ici un texte d’une rare intensité où les phrases courtes, crues, étranglées se bousculent pour décrire l’après, le miracle d’avoir survécu et l’infinie difficulté de se reconstruire quand on entend encore l’écho des tortures infligées.

 

La lecture n’est pas facile, les mots restent fichés dans la gorge et l’on est parfois obligé d’interrompre tant le texte d’une âpreté, d’une sécheresse incroyable cogne fort.

 

Dans la deuxième partie, Klaus Hirschkuh semble trouver un semblant de bonheur avec son métier de tailleur, ses amis et le jardinage, paradis de passage de tous les solitaires. Quand Julien paraît, l’amour pénètre la vie du garçon à part. La fumée, le froid, la faim et les tortures semblent reculer mais il suffira de peu, d’un passage à tabac au cri de "Sale pédé" pour raviver les souvenirs et les vents de la violence et de l’intolérance.

 

Sans jamais donner de leçons et avec une acuité psychologique qui saisit le lecteur et l’emmène sur les traces de son héros, Arsand dresse le portrait de ces homosexuels victimes de la sauvagerie nazie, dont on apprend qu’ils ont été les seuls à ne pas recevoir d’indemnité après les camps et qui, après la guerre, continueront à subir le rejet. Le sida puis le retour nauséeux des idées d’extrême droite vont obliger Klaus à parler, à combattre enfin.

 

Le roman peut s’analyser comme le témoignage des pires bassesses de l’homme mais aussi un chant d’espérance de la force morale de quelques-uns.

 

Ariane Bois

 

Daniel Arsand, Je suis en vie et tu ne m’entends pas, Actes Sud, mars 2016, 267 pages, 20 €   

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