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Le centaure, la métamorphose inachevée

Réalisée par Gustave Moreau vers 1890, une aquarelle aussi délicate dans ses tons qu’expressive dans ses formes met bien en valeur l’étonnante et puissante dualité de la mythique créature. Soucieux de représenter par cette alliance contre nature l’affrontement du spirituel et du matériel, l’artiste fait porter par le centaure, sur son épaule droite, un poète mort. On voit sa lyre un peu à l’arrière.
Peut-être cette œuvre fut-elle admirée par André Breton qui, ayant visité à l’âge de 16 ans le musée Gustave Moreau, déclara par la suite que cette découverte avait été un envoûtement complet et conditionna pour toujours sa façon d’aimer.
Dès l’Antiquité, la littérature, le théâtre et les arts se sont emparés du fabuleux animal, puisant dans cette figure hybride une inépuisable inspiration et trouvant dans ces monstres qui vivaient sur les pentes du mont Pélion, en Thessalie, les sources renouvelées de leurs talents. Ces pages très bien choisies en apportent la preuve. En effet, au long de deux millénaires, peintres, sculpteurs, poètes, écrivains ont sans cesse approfondi le thème, le développant, l’explorant, l’élargissant, faisant de ce torse humain accolé au poitrail d’un cheval doté de ses quatre jambes équines un nouveau dieu, une référence à l’écart de tous repères courants, sujette à de nombreuses interprétations symboliques, religieuses et politiques ainsi que le note Alexandre Blaineau dans une introduction qui pose de façon très pertinente et originale de multiples questions, invitant sans plus attendre à la lecture que l’on pressent passionnante et novatrice.
Conçu comme une anthologie, cet ouvrage rassemble en les ordonnant siècle après siècle des pages signées Sophocle, Ovide, Dante, Ronsard, Shakespeare, Fénelon, pour ne citer parmi tant d’autres que quelques auteurs dont le regard porté sur cette forme de passage entre le monde des humains et celui des non-humains met en valeur combien les approches et les jugements sont contrastés, orientés, ambigus, proches du tragique ou amis de la beauté. Pour Jorge Luis Borges par exemple, le centaure est la créature la plus harmonieuse de la zoologie fantastique.  George Sand pour sa part recommandait de lire au moins deux sinon trois fois Le Centaure de Maurice de Guérin.
S’agissant des arts, il est intéressant de suivre l’évolution des représentations de ce double corps, habité par la lutte permanente entre l’instinct et la pensée rationnelle, générant autant le chaos que la sagesse. Aux somptueux volumes académiques que révèle le Combat d’un centaure et d’un Lapithe, du Parthénon, s’opposent les pièces fuselées et acérées du Centaure réalisé par le sculpteur César en 1983.
De même, au couple peint par Botticelli en 1482, où l’antinomie apparaît dans sa dimension la plus éloquente, quand laideur et pureté, sagesse et rusticité se côtoient, vient s’affronter l’énergie mêlée du corps et de l’âme, telle qu’elle émerge du prodigieux son élan presque désespéré du marbre de Rodin, La Centauresse.

Dominique Vergnon

Alexandre Blaineau (sous la direction), Centaures et centauresses, 145 x 240 mm, 20 illustrations, Actes Sud, janvier 2024, 288 p.-, 23€

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