La princesse russe qui inspirait la diplomatie européenne

À quelques années près, elles sont contemporaines et auraient pu se rencontrer, elles témoignent toutes les deux de cette finesse féminine qui donna au XVIIIe siècle son éclat. Dans son ouvrage De l’Allemagne, publié finalement après deux reports en 1839, Germaine de Staël écrit que dans nos temps modernes, il faut avoir l’esprit européen.
Au terme de cet imposant ouvrage, on comprend que c’est assurément celui qui anima en premier lieu l’existence de Dorothée de Lieven. Elle se maria toute jeune à un diplomate russe qui grâce à la Carrière, lui offrit l’Europe pour carrière selon le jeu de mot du critique Yves Florenne. Dans un autre ouvrage, la célèbre baronne que l’on surnommait l’impératrice de la pensée disait que l’art de la conversation est un art de gouvernement.
C’est également note Christophe Juban le second talent qu’avait Dorothée de Lieven. Quand elle parlait dans un salon, un de ces salons d’où l’on observe l’Europe estimait Thiers, les voix s’abaissaient puis on l’écoutait. Enfin, dans sa volumineuse correspondance, le style de Germaine de Staël qui aimait les superlatifs s’impose par son rythme et ses élégances.
L’auteur constate que Dorothée de Lieven ajoutait par son intelligence, troisième qualité, une belle aisance dans sa manière d’écrire. Ses milliers de lettres, toujours rédigées en français, la langue diplomatique du siècle, le prouvent à l’envi.
Que ce soit la question de la Pologne et de la Saxe, la naissance de la quadruple alliance, le traité de Londres du 6 juillet 1827 impliquant les trois grandes puissances que sont la Russie, la Grande Bretagne et la France mais encore la Grèce et la Turquie, la guerre de Crimée, la place de l’opposition des Tories au Parlement britannique, le futur de la Belgique, Dorothée de Lieven s’est intéressée à chaque événement national et international, en a accompagné les acteurs, leur a soufflé une position à adopter, un argument à réfuter, une démarche à entreprendre.
Le lecteur comprend que ses réseaux comme on dit maintenant étaient à la fin des années 1820, sans égal en Europe. Jusqu’à sa mort, malgré les épreuves familiales qui ne l’épargnèrent pas, elle resta digne et volontaire à la manière des lionnes de Balzac auxquelles il est fait référence à la fin de ces pages.
Après avoir occupé des fonctions d’ingénieur et d’expert financier, Christophe Juban a opté pour un autre métier. Mettant en lumière une personne que l’histoire avait à tort mise de côté, il prend rang parmi les historiens qui sont curieux et savent repérer les êtres oubliés ayant eu de l’influence. Au terme de presque six ans de travail, de lectures d’archives et de classement de notes, il signe un ouvrage qui rend vivante et attachante une femme en lui redonnant sa véritable stature. Ayant rencontré son héroïne lors d’une soirée chez son ami Chateaubriand, il eut comme un coup de foudre pour elle. On suit dans son sillage le déroulement des faits historiques dont Christophe Juban analyse les causes et les enchaînements. Leurs conséquences se prolongent dans l’espace européen dont nous sommes aujourd’hui encore les héritiers.

Dominique Vergnon

Christophe Juban, Dorothée de Lieven, 1785-1857, diplomate et icône du Concert européen, 240x160 mm, illustrations, éditions Michel de Maule, mars 2024, 510 p.-, 26€

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