Luxe, la fabrique d’un univers

Le luxe, c’est la rareté, la créativité, l’élégance disait Pierre Cardin, qui était passé maître dans ces domaines. Il entra à l’Académie des Beaux-arts à ce titre. Les signes du luxe doivent être à la fois visibles et discrets, un accord pas toujours facile à trouver. Arbitre en la matière, Lord Brummell (1778 -1840) estimait que l’élégance cesse si elle se fait remarquer.
Si ces signes exigent de l’argent, ils requièrent d’abord de l’éducation, une attitude qui ne s’achète pas selon Coco Chanel et permet de juger de la valeur réelle d’un objet en évitant de la calculer. Avec le temps, la notion de montants en chiffes s’efface pour gagner en idées de prestige.
Le luxe traverse la durée sans vraiment s’user, son excellence et son esthétique font rêver gratuitement. Il reste lié à la mode, mot qui vient du latin modus signifiant manière et prenant tout son sens une fois mis au pluriel. Les bonnes manières équivalent à un art du savoir- vivre en société dont le luxe et ses attributs ne sont plus que les repères convenus entre ceux qui partagent d’identiques impératifs. Dans tout cela, il y a au premier rang la beauté, au second la volupté.
Avec Baudelaire, le luxe s’enrichit de l’ordre et du calme.   
La modernité fondée pour une grande part sur la publicité multiplie la visibilité des marques pour la majorité mais paradoxalement en réserve l’accès à la minorité qui a les moyens d’acquérir les biens qu’elle promeut. Presque tous les noms qui sont repris dans cet ouvrage particulièrement bien documenté en témoignent. Leur notoriété provient de leur popularité. Qui ne connaît certains sigles comme LVMH ou BMW et ces noms planétaires comme Givenchy,  Van Cleef & Arpels, Rolex, Ferrari, L’Oréal. Derrière ces fabuleux produits, que ce soit des vêtements, des parfums, des montres, des voitures, des cosmétiques, se cachent des créateurs audacieux et entreprenants.
Pour la plupart, il convient au départ de se faire un nom, d’asseoir une compétence, de faire valoir son unicité dans le secteur. Parti de peu comme Estée Lauder, quittant la province pour monter à Paris et en grade après avoir été apprenti comme Guerlain, né dans un milieu qui le forme jeune comme Versace ou à l’inverse héritier appelé à poursuivre sur la lancée des générations comme c’est le cas dans la dynastie Barbour, tous possèdent la rare faculté de comprendre leur époque, d’en saisir les attentes, de répondre à des désirs réels que personne n’a jusqu’alors comblés. Autre approche, créer un nom qui suscite l’intérêt,  interpelle, renvoie à des artistes ou des mythes, résulte d’associations intelligentes, de jeux de mots subtils.
Derrière Omega se tient un certain Louis Brandt, qui aimait la perfection poussée à l’extrême fin de tout, d’où cette appellation. Les Pataugas devinrent encore plus fameux parce qu’ils avaient séduit Fernandel, Ginger Rogers et Charles De Gaulle.
Le succès local se mesure à l’échelle internationale. La course à la Bourse, les bilans ascendants ou déposés, les finances et les alliances font le reste. Lolita Lempicka, Levi Strauss, Jimmy Choo ou Gap triomphent un peu partout grâce à ce mélange de légende publique et de chiffres privés.
Gérard Nicaud travaille en fin limier, il suit la piste de ces grandes maisons et le traque jusqu’au bout afin de collectionner pour notre plaisir les trophées. Résultat de cette chasse, des trésors de données enfin révélées et des histoires d’autant plus vraies qu’elles ont été ou sont toujours vécues. On croise la famille Hermès, Helena Rubinstein, Kenzo, Antoni Patek, Farrah Fawcett. Voici le Bottin mondain du luxe et de la mode mis à portée de tous. Après nous avoir régalés avec un premier livre sur les marques des produits que nous buvons et mangeons, Gérard Nicaud nous invite à entrer dans cet univers exclusif tourné vers ceux qui seraient les happy few de notre temps. Une encyclopédie de la fortune comptant plus de 350 noms (une table alphabétique permettant de retrouver la page et de s’y retrouver plus aisément aurait été utile), des occasions de voyages, des souvenirs et des anecdotes à foison.

Dominique Vergnon

Gérard Nicaud, Luxe et mode, grandes et petites histoires, éditions Michel de Maule, janvier 2023, 522 p.-, 28€

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