Christian Jaccard, une collection

Cela se passe à Montpelier. Le musée Fabre y présente son fonds Christian Jaccard. L’occasion de revenir sur l’œuvre de ce drôle d’artiste. Ni tout à fait peintre, ni réellement sculpteur, les deux à la fois et tellement d’autres choses, surtout. Ainsi, l’on peut s’imprégner jusqu’au 21 avril 2024 de cette problématique artistique, philosophique et sociétale. Proche de Supports/Surfaces sans jamais adhérer, présent à Mai-68 sans jamais militer, Jaccard est bien un électron libre qu’aucune chapelle n’enfermera.
D’ailleurs, il préfère les ignifier, comme celle de la Trinité qu’il métamorphosa en tableau éphémère en brûlant murs linteaux et cintres (avril 2011). Tâche ingrate alors que celle du conservateur qui dû sélectionner les pièces qui s’échelonnent de 1970 à 2017 pour offrir aux visiteurs un ensemble significatif.

Christian Jaccard est un pyromane qui fait des nœuds. Plutôt un pyronaute qui transforme l’existant (concept supranodal). Plasticien alors ? Un homme qui travaille de ses mains. Un artisan je dirai qui aime à se souvenir d’un geste. Qui quête le mouvement idéal pour détourner l’uniformité qui nous étouffe.

Fétichiste de la sensation manuelle. Se levant parfois la nuit pour chasser une angoisse, Christian Jaccard noue, lace, enlace et entrelace, boucle, tord, attache, tresse, natte, croise et entrecroise, tire et renoue, enrobe et entoure cordelette sur corde, torsion sur torsion, ligature sur ligature, courbure sur courbure, engagé dans un travail énorme, hors norme, ramassages, assemblages et nouages, et sans doute à ce jour il aura noué de ses propres mains… plus d’un million de nœuds ; précise Alain Borer dans le catalogue de l’exposition.
Voilà donc un artiste qui pense avec les mains. Toucher la cordelette comme le toucher au piano. Et les outils métamorphosés deviennent à sa main. Harmonie de l’impeccable alignement des boucles.

Quant à la peinture, Jaccard ne l’aime pas. Pas comme on l’entend, sur un chevalet. Il n’aime pas les cadres. Il préfère l’intervention capitale. Et quoi de plus impératif que le feu sur une toile, une feuille de papier ? Contrôler l’infini dévastateur, tenter de conduire sa flamme. Usage de la mèche lente, à petits pas, regarder la suie dessiner des formes, le support se tordre et disparaître… Ainsi le pyronaute est un pyromane qui se retient. Albert Camus en invité surprise. Jaccard, cet homme qui (se) retient de brûler le monde…
Laissons à Pierre Restany le mot de conclusion : La phrase fameuse d’Yves Klein, mes tableaux sont les cendres de mon art prend ici aussi son plein sens. Ma visite à l’atelier à l’atelier de Jaccard le 2 janvier 1991 restera à jamais marquée dans ma mémoire d’un trait de lumière. Quand j’ai compris que la suie est à la cendre ce que le vide est au bleu, j’ai réalisé que je n’avais pas éprouvé de choc émotionnel aussi fort devant la sublime vérité de l’apparence depuis le 14 janvier 1961 au contact des sculptures de feu d’Yves Klein à Kresfled.
On vous souhaite donc ce même marquage au fer rouge dans votre âme lors de votre visite à cette exposition qui ouvre magistralement l’année. Ponctué par ce très beau catalogue aux reproductions d’une très grande qualité.


Annabelle Hautecontre

Alain Borer, Michel Hilaire, Maud Marron-Wojewodzki, Christian Jaccard – une collection, relié, couverture dure à dos rond, plus de 80 photographies couleur, Snoeck, décembre 2023, 116 p.-, 20€

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