Saint-Ouen, le marché au-delà des « fortifs »

Paris sans ses Puces ? Impensable. Comme si la Tour Eiffel disparaissait de son paysage urbain. Le marché aux Puces appartient trop à la capitale, à son image, à son histoire, pour penser qu’un jour, elle en soit privée. Plus qu’un quartier, qu’un endroit où amateurs, badauds, fouineurs, se rencontrent, c’est un lieu où l’on se promène, non pas comme sur les quais en touriste, mais en flâneurs plus avertis sachant que le hasard conduit souvent les pas vers une bonne affaire. Il s’agit d’un monument historique, d’un univers qui est propriété de l’humanité. Les Puces disent l’esprit parisien qui plaît aux étrangers et le style parigot qui ravit les provinciaux. Dans cet endroit ni à l’écart ni proche du centre, celui qui cherche entrevoit tout et surtout découvre le reste. André Breton l’a écrit, quand il se rendait aux Puces « en quête de ces objets qu’on ne trouve nulle part ailleurs, démodés, fragmentés, inutilisables, presqu’incompréhensibles ». Pour lui comme pour les Surréalistes, il y a là unis le mystère et la poésie. Ces occasions inattendues, ces découvertes fortuites pour lesquelles soudain on ressent une affection, un élan, ces presque rien en somme qui ont de la valeur et qu’un jour quelqu’un se met à aimer et collectionner, c’est ici qu’ils apparaissent, dans un faux désordre, déposés par le hasard, vendus à un passant qui restera anonyme.

Les Puces ont leur hiérarchie, géographique, sociale, artistique, financière. Il y a les antiquités, la friperie, les livres, les outils anciens, les jouets, les tableaux, la brocante sous toutes ses formes. Les Puces ont leurs rites, leurs codes, leurs rythmes. Internet est entré dans le système, le vintage aussi. Les Puces ont leurs poètes, leurs chansons, leur vocabulaire. On peut y manger « un vrai repas, boire du vrai vin, avec de vrais gens » ainsi que le rappelle avec malice Philippe Starck dans sa préface.

 

Ce petit livre, finement illustré, bien imprimé, est à lui seul une des meilleures trouvailles que l’on puisse faire si ce phénomène national que sont les Puces intéresse. L’auteur en détaille toutes les facettes, décrit les évolutions des divers marchés qui composent ces halles d’un autre style, racontent avec les mots des chiffonniers et l’accent des « pêcheurs de lune » ce roman véridique. On apprend ce qu’est le « gros dur », un « capon », « mettre en nourrice ». Lire ce manuel pour ami pucier revient à relire Balzac et les circulaires administratives. Jean Bedel, journaliste et expert en objets d’art, emmène son lecteur en guide sûr dans les arcanes de Vernaison, Biron et Serpette. Rien ne lui a échappé, semble-t-il. Jusqu’au lexique qui permet d’acheter encore mieux. Une plongée charmante, vivante, intelligente, dans ce milieu particulier. Désormais, après cette lecture, on ne va plus chiner comme avant.

 

Dominique Vergnon

 

Jean Bedel, Saut de Puces à Saint-Ouen, éditions Monelle Hayot, 176 pages, 45 illustrations, 12x18,5 cm, décembre 2012, 27 euros (avec un plan)

   

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