Édouard Louis, Histoire de la violence : Obliger le lecteur à regarder…

Un roman, un fait divers, une nouvelle page de son autobiographie. Édouard Louis nous livre avec Histoire de la violence un deuxième opus aux éditions du Seuil qui emprunte à En finir avec Eddy Bellegueule bien des traits. Mais ce n’est pas là un défaut.

 

Edouard Louis a aujourd’hui un peu plus de 23 ans, il vient de créer une collection aux Presses Universitaires de France, a dirigé un ouvrage remarqué consacré au sociologue Pierre Bourdieu intitulé L’Insoumission en héritage et est désormais reconnu et classé comme un intellectuel qui imprime sa marque à notre époque par le magazine Les Inrockuptibles. Bravo !

 

Avec Histoire de la violence, Edouard Louis raconte un épisode terrible de sa jeune existence. Le soir de Noël, il est séduit par un homme qu’il accepte de faire monter chez lui, avec qui il a des relations sexuelles mais qui, bientôt, le vole de quelques objets de prix et, découvert, tente de l’étrangler avant de le violer. Aller à l’hôpital et verbaliser sa souffrance et sa peur, porter plainte au commissariat, raconter l’inénarrable, accuser son violeur mais contribuer ainsi à faire valoir que les Arabes sont tous dangereux – son agresseur, kabyle, s’appelle Réda, son père, venu d’Algérie, a vécu le racisme : toute cette affaire est faite pour poser un vrai cas de conscience à Edouard Louis. La violence n’est-elle pas le fait de ceux que la société n’a jamais protégés ? A travers Réda, c’est Eddy Bellegueule qui ressuscite, lui qui aurait pu si mal tourner, aussi. Et qui a parfois été, aussi, un petit voleur.

 

Ce roman n’en est pas un et Edouard Louis le reconnait quand il déclare à la presse : « Dans ce livre, il n’y a pas une ligne de fiction. » Edouard Louis, comme quelques illustres devanciers, pratique l’écriture de soi. D’ailleurs, il entretient une filiation plus ou moins revendiquée, avec Annie Ernaux et avec Didier Eribon…

 

Edouard Louis contribue à ce que l’auteur de La Place a appelé l’autosociobiographie : comment rendre compte de la société dans laquelle on vit autrement qu’en parlant de soi ? Histoire de la violence réfléchit sur la pauvreté sociale et la misère intellectuelle, sur le racisme et toutes les formes d’intolérance – contre ceux qui n’ont pas les bons mots, ceux qui sentent mauvais, font trop de bruit, s’habillent mal, ne comprennent rien aux codes du monde dans lequel ils évoluent –, sur la colère qui pousse au pire sans jamais aider à en sortir, sur une sorte de fatalité qui s’abat toujours sur les mêmes. Sur l’incompréhension aussi : les policiers ne savent rien entendre à ce que ressent Edouard Louis, ni sa sœur, ni le mari de celle-ci. Il y a de la colère dans ce livre, une colère qui cherche comment s’exprimer mais se canalise dans les mots et l’écriture littéraire. Edouard Louis écrit dans Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage : « La première fois que j’ai ouvert un livre de Pierre Bourdieu, ce qui m’a le plus ému a été de voir et de ressentir la colère sous chaque phrase. »

 

Edouard Louis dérange aussi. Et ça lui vaut d’être critiqué dans l’hebdomadaire Marianne tant il aborde des thèmes qui embarrassent bobos, gauche bien-pensante et tous les donneurs de leçons : le Beur qui vole et qui viole, la misère d’un milieu ouvrier qu’on ne veut plus regarder, le changement de classe sociale et une certaine manière de tourner le dos à sa vie, sa famille, son passé (oh ! Annie Ernaux…), l’incompréhension si générale aujourd’hui encore vis-à-vis de l’homosexualité… Le « politiquement correct » n’est pas forcément de mise.

 

La vie est parfois misérable et Edouard Louis le sait. Il le montre. Parfois insupportable. Tout simplement.

 

Dernière chose : le texte est construit à plusieurs voix, celle d’Edouard Louis mais aussi et surtout celle de la sœur, à qui il a raconté son agression, et qui la raconte à son tour, à son mari, avec ses mots, son histoire, son intelligence bien à elle et tout ce que cela sous-entend de transformations, d’incompréhensions, de reconfigurations. Edouard Louis est derrière la porte, il l’écoute, il l’espionne, il la juge. Il se fait le premier spectateur de son histoire à lui, de sa vie. Et avec lui, il oblige son lecteur à regarder à son tour par le trou de la serrure. C’est une posture toujours très inconfortable.

 

Thierry Poyet

 

Édouard Louis, Histoire de la violence, Le Seuil, janvier 2016, 230 pages, 18 €

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