Xavier Soleil ressuscite René Benjamin

Qui se souvient encore de René Benjamin ? Il obtint pourtant le Goncourt en 1915 pour son roman Gaspard, ce qui ne suffit évidemment pas pour passer à la postérité : il n’est que de parcourir la liste des lauréats au fil des années pour constater qu’y figurent plus d’inconnus que de célébrités. Et que si Guy Mazeline fut préféré, en son temps, à Louis-Ferdinand Céline, Les Loups sont tombés dans l’oubli quand on lit toujours le Voyage.

 

Pour s’en tenir à René Benjamin, d’autres facteurs jouent en sa défaveur. Charles Maurras et Léon Daudet le tenaient en estime, ce qui suffit à en faire un suspect. Plus grave encore, il soutint la politique de Vichy. Comme nombre de ses amis, dont Sacha Guitry. Ce sont des choses qui, des décennies plus tard, ne se pardonnent pas. Engagé, comme le préconisait Sartre, mais dans le mauvais sens. Monarchiste et, pour aggraver son cas, chrétien traditionnaliste. Une carte de visite pour le moins sulfureuse. On ne sera pas surpris qu’à la Libération, il ait figuré sur une des listes noires du Comité national des écrivains.

 

Pas davantage que, quelque soixante ans après sa mort, il demeure inconnu. Non seulement du grand public, sort qu’il partage avec bien d’autres écrivains tout aussi estimables, mais même de ceux qui se piquent de bien connaître la littérature française. IL méritait pourtant de passer à la postérité. Ne fût-ce que pour cette phrase prophétique que je cite de mémoire. Elle exprime à elle seule la « philosophie » de notre temps : « Puisqu’il existe des nains, faisons des portes basses. » Voilà qui s’applique à maints domaines, et pas seulement à l’Education nationale où elle est, à l’évidence, « en situation ».

 

Or voici qu’il sort du purgatoire. Ou, du moins, que les portes s’entrouvrent. A cet écrivain maudit, Xavier Soleil consacre une biographie aussi sérieuse et documentée que fervente. Son Qui suis-je ? René Benjamin s’inscrit dans une collection qui s’attache surtout aux auteurs s’écartant de la bien-pensance. Elle compte quelques réussites, dont l’une des dernières en date est l’essai de Camille Galic sur Agatha Christie.

 

Sérieuse, donc, cette biographie qui suit chronologiquement, avec précision, la vie de son héros et s’appuie sur des documents parfois inédits, correspondance et carnets, ces derniers particulièrement précieux. Ainsi les six Carnets de Guerre (1939-1948) tenus jusqu’à l’année de sa mort. Ils. permettent de connaître la pensée intime de leur auteur durant des années cruciales où régnait le manichéisme. On y découvre un homme passionné, épris de vérité, que les épreuves subies durant toute son existence, depuis sa blessure au front en septembre 1914 en passant par son arrestation en 1944 comme « écrivain pro-allemand » et par la mort tragique, en 1945, de son fils Jean-Loup, jusqu’au non-lieu prononcé en 1948 « en raison de la faiblesse de l’accusation »..

 

Son œuvre donne lieu à des analyses tout aussi minutieuses. Elle est à la fois abondante et variée : romans, essais (sur Maurras, Clémenceau, Marie-Antoinette, Molière, à qui il voue un culte, d’autres encore), portraits, satires sociales et politiques (il s’y révèle redoutable pamphlétaire), théâtre (dont des pièces inédites), sans compter les conférences, une activité  intense d’homme de lettres doublé d’un homme de conviction. Sans doute ses dernières œuvres publiées l’année même de sa mort, Le Divin Visage et La Visite angélique, sont-elles les plus originales et, par là, les plus attachantes. L’homme s’y révèle avec toute sa sensibilité, sa profondeur. Avec cela, un maître styliste digne d’être découvert ou redécouvert.

 

C’est aussi à Xavier Soleil que l’on doit la création des « Cahiers René Benjamin » dont trois volumes sont déjà parus. Ils constituent le prolongement idéal de cette biographie et permettent d’aller plus loin dans la connaissance de l’œuvre. Le premier est consacré à la publication d’un Balzac, pièce de théâtre en sept actes, restée jusqu’ici inédite. Le second propose les Carnets de guerre 1939-1948. Le troisième, René Benjamin journaliste, est un choix d’articles publiés dans Le Figaro, L’Action française, Candide, Gringoire ou Le Journal entre 1925 et 1943. La répartition thématique adoptée par le compilateur permet de mesurer la variété des centres d’intérêt d’un écrivain aussi à l’aise dans les « choses vues » que perspicace dans les portraits ou acéré dans la polémique.

 

Jacques Aboucaya

 

> Xavier Soleil, Qui suis-je ? René Benjamin, Pardès, novembre 2011, 128 p., 12 €

> Cahiers René Benjamin, même éditeur. N° 1, Balzac, février 2013, 200 p., 16 €. N° 2, Carnets de guerre 1939-1948, septembre 2013, 146 p., 15 €. N° 3, René Benjamin journaliste, mars 2014, 216 p., 18 € 

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