Jean-Claude Pirotte : Vivre dignement dans l’incertain

Sylvie Doizelet l’exprime dans son avant-propos : de juin 2010 à juin 2011, Jean-Claude Pirotte est perdu dans ses déménagements. Il se promène beaucoup entre Bonfol, Beurnevésin (Jura suisse) et le polder de La Panne (Flandre belge). Pour reprendre pied dans la réalité, il décide alors de tenir des carnets car noter quelques lignes assure une sorte de sécurité. Pirotte n’est pas au mieux de sa forme physique, la maladie le tenaille, et l’angoisse l’entraîne vers le bas. Grand lecteur, l’écrivain ne peut pas remettre la main sur les livres-amis qui dorment encore dans les cartons. Il perd pied. Il décide donc de donner un sens à ce qui n’en a pas autour de lui, relate de menus faits, attrape des phrases au vif dans ses dernières relectures (Henri Thomas, le journal de Charles-Ferdinand Ramuz, Bernard Mermod, Gaston Bachelard…), il espère enfin Ecrire pour écrire, avec l’espoir tout à fait vain, absurde, que l’écriture ne rouille pas. Une lumière entraperçue par la lucarne de la soupente où il est quasi reclus, le bruit de la mer du Nord au loin, qui gronde et se rappelle à lui, les murmures du monde et de la France, tout fait mouche et mérite d’être noté. Pirotte veut se réconcilier avec la réalité : Chercher cet accord, le trouver, c’est toujours un miracle, note-t-il. Pirotte, en admirateur jaloux de Georges Perros (1923-1978), se demande avec quelle force surhumaine l’auteur des Papiers collés parvenait-il à transcrire ses pensées. Pirotte avance une réponse : L’urgence du talent, ce besoin impérieux de retenir le temps. Pour cela, il faudrait inclure toute la réalité. Que retenir de la vie qui vous entoure ?  

 

En attendant cette omnipotence, il allume une cigarette après l’avoir roulée, notant le paradoxe de la situation : Je précipite ma mort alors que je me trouve toujours des raisons de vivre. Autour de lui, il y a le boucan de tous les moteurs imaginables et le tournis des mouches. Pirotte est conscient de tirer du néant et de l’oubli ces instants banals et fabuleux qui font une vie. En témoignent les lumières du 26 septembre 2010 sur La Panne, fixées en aquarelle de mots : Jours d’équinoxe, traversées de bourrasques, d’averses diaboliques, d’éclats sidérants de lumière, de noirceurs et de suies, de prophéties tempétueuses, de calmes éblouis, de couleurs chevauchées dans le tournoiement de l’air. La vie, en somme !

 

Pirotte n’est pas sourd aux bruit du monde et au chaos qui s’est installé en France depuis qu’un certain Nicolas S. gouverne ce régime bananier qui prétend donner des leçons au monde entier. Tout comme Léon Werth (1878-1955), dont Pirotte relit Déposition (réédité par Viviane Hamy), journal tenu pendant la seconde guerre mondiale, il note que son pays d’adoption ne tourne pas rond et qu’il a mal à la civilisation. De troublants parallèles se créent entre ces années 40 et la France contemporaine soumise à cette perte irréversible de dignité qui prépare aux pires lendemains. Pirotte vitupère, analyse très finement le malaise profond qui mine la France.

 

Heureusement, l’écrivain, en regardant la pluie tomber sur les malheurs du pauvre monde, a retenu la leçon d’André Dhôtel  pour qui le roman, la vie (c’est pareil), c’est « aller de proche en proche » et celle de Nicolas de Staël qui, lui, déclare « aller d’accident en accident ». Sans savoir où. Et heureusement. Rester digne, malgré cette terre infestée d’adultes – selon le mot d’Alphonse Rabbe (1784-1829) – et défier l’adversité, la patiente régularité des jours qui vous détruisent à petit feu. Pirotte s’est fixé une ligne de conduite : Me résigner à n’être qu’une ombre. En attendant des jours meilleurs, des jours tout court, il s’oblige avec une élégance aristocratique qui force le respect à Vivre dignement dans l’incertain

 

Frédéric Chef

 

Jean-Claude Pirotte, Traverses, carnets juin 2010-juin 2011, avant-propos de Sylvie Doizelet, Le Cherche-Midi, janvier 2017, 88 pages, 14 €

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