Mitterrand, salut l'artiste!

                   

Le temps de l’historien

 

Que raconter de plus sur cet homme qui a suscité un tel flot d’ouvrages dès son vivant, puis après son trépas, sans commune mesure avec ses prédécesseurs (excepté bien entendu de Gaulle) et ses successeurs ? Des journalistes comme Jean Lacouture, Pierre Péan ou Franz-Olivier Giesbert ont raconté dans le détail la vie du premier président socialiste de la Vième République. Jeunesse, carrière, manœuvres politiciennes, liaisons amoureuses ont été jetés en pâture au public, y compris ses lettres d’amour. Pourquoi un historien comme Michel Winock s’est donc-t-il penché sur le sujet ? Parce que le temps de l’histoire, après celui des passions partisanes, est simplement venu : François Mitterrand est mort il y a vingt ans, une génération a grandi sans le connaître ou se positionner par rapport à lui. Seul un historien est à même aujourd’hui de restituer son itinéraire politique dans l’histoire de la société française. Michel Winock, grand professeur, spécialiste d’histoire politique (on lui doit un ouvrage remarquable sur l’agonie de la Vième République) collaborateur régulier de la revue l’Histoire, sera donc le premier à se pencher sur le « cas » Mitterrand.

 

« Quel roman que ma vie… »

 

Cette phrase, François Mitterrand aurait pu la faire sienne. Né en 1916, sa vie épouse les chemins sinueux du vingtième siècle. Michel Winock livre des pages très étonnantes sur l’enfance du futur président dans ce pays de Saintonge, finalement très traditionnelle, qu’il va jusqu’à qualifier de « barrésienne ». Le chantre de l’union de la gauche a en effet grandi dans un milieu de droite, très catholique. De ses parents, Winock retient surtout l’influence de sa mère (elle-même marquée par le catholicisme social, voire par les échos de la doctrine démocrate chrétienne du Sillon de Marc Sangniez) dont la mort à l’orée de ses vingt ans le marqua à jamais.

 

La famille Mitterrand n’était pas fortunée et économisa pour envoyer le jeune François à Paris suivre des études supérieures. Il fréquente le mouvement des croix de feu du colonel de la Rocque (il devient volontaire national), travaille son droit, tombe amoureux d’une future speakerine… Puis vient le service militaire. C’est la guerre qui le révèle à lui-même, c’est en captivité qu’il découvre ses dons de leadership. Il continue cependant de se chercher, va à Vichy et devient résistant : on sait aujourd’hui que son parcours n’est pas unique (le livre de Bénédicte Vergez-Chaignon sur les vichtysto-résistants le démontre) mais fut longtemps caché. Et, selon tous les témoignages recueillis, il prit des risques notre décoré de la francisque ! le résistant Mitterrand fut courageux, n’en déplaise à ses contempteurs. L’ami Mitterrand resta aussi fidèle aux personnes rencontrées lors du séjour vichyssois : il en va ainsi du préfet Jean-Paul Martin et de… René Bousquet.

 

Ombres et lumières

 

Après la guerre, il est élu député (plutôt de droite) et s’inscrit dans un parti charnière, l’UDSR, où il s’impose face à un ancien gaulliste, René Pleven. Plusieurs fois ministre, cacique du régime, on notera que François Mitterrand commence de plus en plus à inscrire son parcours à gauche, pour des raisons tactiques mais aussi parce qu’il se préoccupe de plus en plus des questions sociales (on retrouve l’influence de sa mère). Michel Winock démontre aussi qu’en tant que ministre de la justice de Guy Mollet, il couvrit la répression en Algérie, recommanda rarement la grâce pour les condamnés à mort et épousa tactiquement la cause des ultras de l’Algérie Française (on se permet ici de renvoyer à l’ouvrage de Benjamin Stora, Mitterrand et la guerre d’Algérie). Son but était simple : se poser en recours à gauche face à Guy Mollet et Pierre Mendès-France en vue d’obtenir la présidence du conseil.

 

Le retour de de Gaulle, qu’il condamna, le plaça dans l’opposition. Après la bévue de l’observatoire, il va réussir dans la durée à devenir le principal opposant au Général en acceptant le jeu de la présidentielle, contrairement à Pierre Mendès-France. Il lui manque juste un outil : un parti. En prenant la tête du PS au congrès d’Epinay de 1971 (alors qu’il n’en était même pas membre : ce diable d’homme est l’artiste de la manœuvre politique), tout deviendra possible… Il imposa aussi une stratégie : l’union de la gauche, même lorsque les partenaires sont réticents, au détriment d’alliances au centre. La gauche française est restée fidèle à cette stratégie, jusqu’à aujourd’hui, qui a permis l’alternance de 1981 (et de 2012) et l’enracinement de la constitution de 1958 (quel paradoxe pour un antigaulliste !).

 

 

Que garder de Mitterrand ?

 

L’homme avait du style, de l’intelligence et du verbe. Ambitieux, il mit vingt-cinq ans à conquérir le pouvoir. Il eut à affronter des rivaux et surtout un monstre sacré, unique en son genre, celui qui le surnommait l’arsouille, de Gaulle. Mitterrand devint son critique le plus féroce, vit en lui un apprenti dictateur… et devint le plus gaullien de ses successeurs. Pire, il renforça le côté monarchique de la Vième République, laissa se développer une « cour » et permit des dérives de l’appareil policier : irlandais de Vincennes, Rainbow warrior, cellule d’écoutes de l’Elysée…Sur le plan politique, il vainquit Michel Rocard avant d’adopter ses idées économiques, d’en faire son premier ministre (ce dernier fut un des meilleurs à ce poste) avant de le « tuer » en 1994 en lançant Tapie contre lui aux européennes… Tel Volpone, Mitterrand mourant promettait son héritage à tous (Jusqu’à Juppé !) et ne songeait qu’à le garder pour lui. Mais quel héritage, Mitterrand ne procéda à aucune des réformes de structure dont la France avait besoin pour affronter la mondialisation et imposa un immobilisme dont nous payons le prix aujourd’hui.

 

Marqué par la guerre, sincère partisan de la réconciliation franco-allemande, François Mitterrand fit le choix de l’Europe. On lui donc doit la libéralisation des marchés financiers, la dérégulation, le grand marché européen, la monnaie unique (arraché au forceps lors d’un référendum en 1992 et face à Philippe Séguin, un de ses meilleurs critiques). Pour lui, de l’unification européenne découlait le progrès social, la paix et la grandeur de la France, un « pari pascalien » selon Jean-Pierre Chevènement. Force est de reconnaître que ce pari fut hasardeux… grecs, portugais et espagnols souffrent aujourd’hui de l’austérité induite par les fameux critères de Maastricht.

 

A l’heure où notre continent traverse une grave crise économique et s’interroge sur son avenir collectif, se replonger dans le parcours de l’homme qui a, avec d’autres, créé l’Union européenne d’aujourd’hui avec ses forces et ses faiblesses, a quelque chose de revigorant… et aussi d’angoissant.

 

Reste, comme le parfum entêtant d’une jolie femme, le doux plaisir d’une fascination sans cesse renouvelée pour ce Maître absolu de la politique, auprès duquel nombre de ses épigones sont des nains...

 

Sylvain Bonnet

 

Michel Winock, Mitterrand, Gallimard Folio, septembre 2016, 512 pages, 8,70 €

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