Willem Tholen et Palézieux, dialogues de lumière

Devant ces délicates aquarelles où les nuances de blancheur construisent les maisons et donnent à l’espace une profondeur à la fois perceptible et infinie, on pense à Yves Bonnefoy, qui a trouvé pour parler des œuvres de Gérard de Palézieux les justes mots.

C’est la dernière neige de la saison,
La neige de printemps, la plus habile


Leur musicalité sous la main de l’écrivain rejoint l’authenticité du regard sous le pinceau du peintre. Datée de 1974, l’aquarelle sur vélin représentant Les Maisons à Muraz donne à elle seule le ton à un ensemble de vues où la neige est devenue l’actrice ayant le rôle principal dans ces théâtres de silence que sont ses paysages d’hiver.
Palézieux nous invite à ressentir comme lui la nature, dans une sorte de respect et d’audace unis. En y ajoutant la lenteur, en se débarrassant de l’inutile. Il ne fait rien d’autre quand il peint, dessine ou grave ses estampes. Il applique d’une autre manière un précepte ancien que tant d’autres suivent et qui est gage de vérité. Réduire à l’essentiel la présence des choses, que ce soit chez lui des fleurs, des figues, la forêt de Grignan ou La Piazzetta à Venise.
Pour le dire autrement, enlever pour mieux rehausser, aller à l’économie pour encore enrichir. Pour comprendre « l’univers graphique de Palézieux », dit Ger Luijten qui a pu le rencontrer quelque temps avant sa disparition, « il y a un mot-clé, celui de structure ». 

 

La découverte de l’œuvre de Palézieux (1919-2012) telle que la Fondation Custodia la présente est une sorte d’enchantement qui se prolonge, se renouvelle, s’oriente selon d’autres axes sans perdre ces qualités initiales de douceur, de velouté interne qui sont à n’en pas douter le résultat d’une longue et sensible observation. « Un jaillissement d’enfance avec toutes les ressources du métier », disait le poète suisse Maurice Chappaz à propos de son compatriote. Florian Rodari qui a également écrit sur cette œuvre et la connaît bien, note que le temps pour Palézieux est « l’unique objet dont parle et se nourrit l'image ».
Un temps complice qui fait croire qu’il est sans fin mais qui en avançant épure toujours plus. Les dessins, qu’ils soient exécutés à la mine de plomb, la sanguine, la pointe d’argent ou encore la craie, ont tous en commun d’être façonnés par une identique finesse, un même sens des proportions, une approche similaire dans la manière d’accentuer les ombres et les reliefs, ce qui fait au final que les œuvres de Palézieux ne sont « ni anodines ni affectées ni hâtives ». Un degré de force, d’originalité, d’accentuation dans les gammes de gris, de noirs, de hachures, tel que les estampes le prouvent, met en évidence un talent assuré, pas assez reconnu jusqu’alors et qui avec cette exposition est enfin révélé au public.

On accède à un nouveau domaine de pensée avec les natures mortes qui alignent des pots, un entonnoir, une corbeille, des pichets. Certes on est proche du vocabulaire de Morandi, mais le rythme et les accents sont différents. Citons une seconde fois Yves Bonnefoy :  
Le temps n’est donné dans l’œuvre que par la profondeur dans le mouvement, par son épaisseur d’hésitations, d’ambiguïtés, de contradictions.

Une aquatinte sur laiton sur Chine teinté et appliqué sur papier vélin datée de 1993 représente une Barque sur la lagune. L’eau et le ciel se disputent un horizon qui ne se  discerne qu’à peine. L’atmosphère vénitienne entière est tendue d’humidité ; de nouveau le silence s’étend sur la surface ridée par endroits. Une bricola, ces poteaux liés par trois et enfoncés profondément dans le sol marin, impose sa silhouette comme un repère utile. On parle aussi d’un duc d’Albe.

 

Ce motif conduit à un tableau en totalité aux tons justes, allant du rose au gris, au beige, à l’ocre, évocateur d’un pays où l’eau, quand elle ne l’épouse pas et n’est pas à son service, impose sa domination à la terre. Le regard est devant une vue peinte par un homme qui est en plus un navigateur et connaît par expérience le caractère parfois redoutable des eaux qui baignent son pays. Un vaste horizon, le ciel et la mer à égalité, un promontoire de terre et son phare éclairé à gauche ; au centre, une forme  voisine de celle de l’amarrage vénitien, le Dukdal, c’est-à-dire le Duc-d’Albe (huile sur toile de 1918). Il est très intéressant de rapprocher les deux œuvres.

L’auteur de ce pieux, a connu comme beaucoup d’autres, de son vivant, la renommée, les ventes, le succès. Puis il s’est trouvé peu à peu relégué par de nouveaux courants picturaux, jusqu’à sinon disparaitre du moins être oublié. C’est un beau et grand mérite de la part de la Fondation Custodia que de le présenter au public français qui devant l’amplitude de son œuvre, se demandera pourquoi on ne l’expose pas plus souvent.

 

Willem Bastiaan Tholen (1860-1931), né à Amsterdam et mort à La Haye, signe une suite de tableaux qui tous, au long de  cette imposante et riche rétrospective, offrent des scènes où se concentrent tous les visages de la Hollande, celle des villes et des villages, des intérieurs où entrent les clartés de chaque saison, des bateaux, des paysages de dunes, des moulins et des toits typiques. Les couleurs de la palette sont nourries d’une évidente chaleur intérieure. Les cadrages sont parfaits, ils enserrent les décors, ils invitent l’œil à entrer dans le spectacle qui de ce fait se rapproche et dont il peut ainsi juger de l’intérêt, comme on le voit sur cette Vue du Zuiderzee depuis l’hôtel van Diepen, Volendam.

Une même finesse, un identique don d’observation, une pareille mesure dans l’aisance visibles sur les aquarelles et les dessins de Tholen renvoient aux qualités similaires des dessins de Palézieux. Le premier appuie davantage parfois les contrastes et marque plus les ombres que le second, mais chez les deux artistes prévaut une sensibilité authentique au réel et domine le souci de vérité. Sans que rien chez l’un et l’autre ne fasse perdre ce qui les unit, le goût du travail heureux, de la manière subtile, d’un esprit qui s’allie avec le cœur.
Double réussite que d’avoir pensé que d’exposer ces deux artistes serait une rare occasion à ne pas laisser sans la réponse d’une visite.       

 

Dominique Vergnon

Marieke Jooren (sous la direction de), Willem Bastiaan Tholen (1860-1931). Een gelukkige natuur (Une nature heureuse), 300 illustrations en couleur, 240 x 280), 320 p.-, 39,95 euros (en néerlandais ; livret explicatif de chaque œuvre en français)

Florian Rodari et Ger Luijten (sous la direction de), Palézieux. Œuvres sur papier, quatre volumes (210 x 250) sous coffret, 5 Continents éditions, Milan, 2019, 49 euros

www.fondationcustodia.fr jusqu'au 15 décembre 2019  

 

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