"Éveils" de Gaïto Gazdanov, une histoire de la bonté

Éveils
est l’histoire d’une double renaissance, celle de deux êtres qui n’avaient jamais vécus ou avaient désappris à vivre. Un conte initiatique, ascétique et un défi surtout : raconter la bonté.


Fin des années quarante. Pierre Fauré issu d’une famille modeste consacre sa vie à sa mère. Il ne considère pas son dévouement comme un sacrifice mais se fait un devoir de rendre ses derniers jours paisibles. Son existence est effacée, il semble n’avoir jamais connu ni amour ni haine.


Pendant la guerre, mobilisé, il ne garde que des souvenirs de manœuvres absurdes, pas l’ombre d’un ennemi ; le premier allemand qu’il croise fut lors de son retour à la capitale.

L’héroïsme et le crime restent des notions vagues comme pour bon nombre de ces « français moyens » dont le désir même de se distinguer a été étouffé  par une société où le nivellement est la règle.


A la mort de sa mère Pierre se retrouve sans but. Lors d’un séjour dans la campagne profonde à l’invitation d’un ami il rencontre Marie, femme dont on ignore tout depuis qu’elle a été retrouvée inanimée au bord d’une route pendant l’exode. Elle a définitivement rompu avec l’humain, comme un animal malade elle vit prostrée dans la crasse et toute communication semble morte.


Transporté par cette nature foisonnante et ces forêts à perte de vue, Pierre prend la décision d’emmener Marie avec lui à Paris et de l’aider à sortir de l'enfer.

Autour de ce héros dénué d'ego, presque désincarné, à la fois passif et démesurément disponible, les personnages semblent monolithiques. En ramenant peu à peu cette femme à la vie, au prix d’efforts exaltés, il finira par se retrouver lui-même et de cette étrange cohabitation naîtra une affection profonde, placée sous le signe de la sainteté allant jusqu’à irradier son entourage et ébranler les certitudes les plus médiocres.

 

Roman remarquable par sa capacité à toucher juste tout en ayant recours à des figures simples ; l’écriture est sèche, aérée, pauvre en métaphore, se bornant à décrire les faits et les sensations de manière spontanée ; comme autant de constats conférant au récit un caractère profondément authentique.


En se donnant, Pierre accomplit et finit par s’accomplir lui-même, comme un affront à la face du néant, un crime contre le vide. A ceci près que la charité est pour lui la seule façon de pouvoir se réaliser ;  condition sine qua non de son ancrage dans le réel.

 

Ancien combattant de l’Armée Blanche, exilé à Paris en 1923 Gazdanov écrit Éveils entre 1950 et 1964, comme une réponse à ses œuvres précédentes où le thème de l’identité et la quête de la personnalité sont récurrents ; ou comment la bonté peut avoir une histoire.


Arnault Destal


Gaïto Gazdanov, Éveils, Viviane Hamy, mars 2005, 155 pages, 7 euros

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