Joël Bastard et la césure du secret 

Le Livre devient donc en tant qu’objet une toile de fond sur laquelle ce que Bastard exprime reçoit une autre signification. C’est autant une excarnation qu’une incarnation. Par la première la seconde acquiert une autre dimension. Entre l’écriture et le livre qui la métamorphose surgit un pas au moment même où l’on pourrait croire que l’écrivain fait vœu de silence .
Les signes lorsqu’ils prolifèrent sur la seule page volante s’écrasent, demeurent insignifiants car nous pouvons lire encore l’extérieur. Avec le livre s’instaure un intérieur palpable dans lequel le secret du texte ne se vide plus de lui-même. Le livre devient la trace irréductible de  ce qui jusqu’à lui est écrit mais peut se dissiper. Il sert donc de repère, de rempart et d’ île  (mot clé chez Bastard) : à cette seule condition la soif de son secret peut s’étancher. Certes, il y a plusieurs sortes de secrets : les mots ont leur secret, mais le livre garde les siens en propre.  Il devient la césure du secret où l’effet de présence n’est plus un simple mirage.
Pour Bastard, plus que l’héritier mécanique du texte, le livre en constitue sa métamorphose d’autant que le poète le conjugue souvent avec des rapports iconographiques qui possèdent toute leur importance. Il n’est donc pas le simple outil servile, le simple empreinte du texte qu’il contient : il en étend ou perfore son propre secret. Il devient le lieu de scission du lien ombilical qui retient l’auteur à son texte. Ce lien se  dédouble au sein de cette éclosion vers un dehors qui s’en empare dans un encart de l’étrangeté.  Plus que support, plus que lieu de dépôt-sition le livre dit au texte : vis d’une autre vie  en lui proposant un paysage où la parole poétique devient un échange. Et c’est pourquoi Bastard a toujours porté tant d’attention au - tout compte fait - rares livres qu’il a accepté de publier. Il sait que le livre plus qu’événement provoque une éclosion avénementielle tant son secret est autre que celui qui propose le seul horizon de l’écriture. L’objet-livre transpose l’intention, défait la voix car en son éloignement de l’écriture originelle, en sa transformation, il propose une autre proximité qui  oblige.

Jean-Paul Gavard-Perret

Joël Bastard, Les couvertures contemporaines suivi de Le principe souterrain, Gallimard, mars 2024, 186 p.-, 14€

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.