Napoléon, un souverain en sa maison impériale

En 1807, aux deux architectes et décorateurs Charles Percier et Pierre Fontaine (Louis-Léopold Boilly a laissé de ce dernier un portrait avenant et sans concession exécuté vers 1805), Napoléon indique, sur un ton qui ne manque ni d’autorité ni de clarté, qu’il désire "être logé dignement", non à la manière d’un souverain "prisonnier et mal à l’aise sous les plafonds dorés" mais disposant "dans le même lieu, sous la même façade", d’un "logement complet d’un chef de famille riche, avec toutes les convenances d’un homme privé" et de "l’ appartement de réception et d’apparat du représentant d’une grande nation, à laquelle on doit des honneurs et des respects".

Voilà en quelques mots défini le vaste plan que Napoléon a conçu pour lui et sa famille d’une part, pour lui en tant qu’Empereur et donc par conséquent pour la France d’autre part.

Autour de ces deux grands axes, pourrait-on dire, qui confèrent une légitimité souveraine à Napoléon pour l’organisation de ses résidences personnelles et de celles qui concerne l’Etat, se situent de magnifiques lieux, s’aimantent des projets et tournent un immense ballet de  personnages. Rien que pour ceux-ci, depuis les plus hauts dignitaires de l’Etat jusqu’aux serviteurs qui s’activent lors des banquets impériaux en passant par les intendants, les préfets, les officiers, les artistes, cela donne un cortège aussi somptueux que hiérarchisé, régi par une étiquette voulue et imposée par Napoléon.

Tout en cherchant à se "démarquer de l’héritage des Bourbons renversés" la démarche et le propos de l’empereur n’en restent pas moins largement inspirés voire façonnés par l’Ancien Régime. Un exemple, certes secondaire mais assez significatif permet de suivre la manière dont il use pour créer sa propre image, celui de la chasse.
Cet événement indissociable de la vie de la Cour royale est repris à son compte par Napoléon.

Lui qui n’est pas foncièrement un grand chasseur va au fil des années y prendre plaisir. Il fait de la chasse, outre un loisir le mettant en contact avec une nature qu’il aime, "un élément essentiel sur l’échiquier diplomatique" qui lui ouvre la voie en direction "des monarques, des princes ou des ambassadeurs de tout le continent".
Cet intérêt pour la chasse entraîne une suite d’actions qui officialisent la fonction : création d’un office de Grand veneur, établissement d’un budget, recrutement de dizaines de veneurs, disposition d’une centaine de chevaux et de deux cents chiens, lancement d’invitations aux parties de chasse, élaboration de tenues appropriées. Tout est prévu, décidé, jusqu’à l’idée de "lâcher des animaux sauvages d’Afrique ou d’Asie pour organiser des chasses exotiques" !
Cela implique encore l’achat de forêts et l’entretien de pavillons. Au-delà de ce rituel, c’est bien le souci d’entretenir la symbolique impériale qui se définit, sans parler de l’installation des chevaux et des chiens dans le Grand chenil de Versailles.  
Il en est de même pour le Grand Aumônier, le Grand Maréchal du Palais, le Grand Ecuyer, pour l’impératrice qui a sa Dame d’honneur. Installés au rang des premiers personnages de l’Empire, ces hauts personnages  participent à la volonté de parfaire sa popularité et surtout sa gloire.

Cette relation avec un Ancien Régime que l’on veut oublier mais dont on s’inspire assez largement se note également à travers les fastes de la cour impériale, qu’ils portent sur les costumes, les cérémonies, l’ameublement des résidences, le protocole et enfin l’art. Le chapitre consacré à ce dernier sujet est particulièrement intéressant, très documenté, révélateur du désir de Napoléon de laisser pour la postérité une marque aussi ostensible, sinon ostentatoire, que digne.
"Le portrait de Napoléon en grand habillement par François Gérard est l’une des images les plus emblématiques du régime impérial." Rappel des portraits de Louis XV et Louis XVI en grand costume royal et des codes de l’ancienne monarchie, cette œuvre admirablement composée est due à Talleyrand qui est à l’origine de la commande. Elève de David, né à Rome en 1770, ami d’Isabey et de Carle Vernet, nommé professeur à l’Ecole des Beaux-arts en 1811, travaillant ensuite pour les Bourbons, Gérard a peint entre autres grandes scènes historiques un charmant portrait de Juliette Récamier assise et un portrait non moins connu de Lamartine.

Lui aussi traitant le même sujet, le tableau de David, bien que très majestueux, semble plus austère que celui de Gérard. Deux ans après ce magistral portrait, soit en 1808, Gérard exécute le portrait de Joséphine en costume de sacre, huile sur toile également de grandes dimensions, sur laquelle on voit Marie-Josèphe Rose Tascher de la Pagerie, devenue impératrice, assise à côté de la couronne sur le magnifique fauteuil du trône réalisé par l’ébéniste Jacob-Desmalter et revêtue du manteau de velours rouge semé d’abeilles d’or, long de 22,60 mètres, doublé et bordé d’hermine.

Déroulant dans ses détails la vie quotidienne de cette maison impériale devenue un spectacle politique, ces pages offrent au lecteur l’occasion de croiser Joseph Fesch, Duroc, Louise de Guénéheuc, Jérôme Bonaparte, Dominique-Vivant Denon, Odiot et beaucoup d’autres noms illustres qui ont contribué à la solennité et au rayonnement de Napoléon.

Il peut aller à Compiègne, la Malmaison, Fontainebleau, aux Tuileries, à l’île d’Elbe, entrer dans les salons et vivre dans les bivouacs, admirer les services de la Manufacture de Sèvres, suivre enfin la fabuleuse épopée jusqu’au long exil de Sainte-Hélène, à Longwood, au cours duquel Napoléon restera estimable face à l’adversité. Epilogue de la légende, les mots de Napoléon ferment la boucle dorée de ceux qui l’avaient forgée à ses débuts : "On a ramassé dans l’île, pour mon usage, toutes sortes de vieux objets, de mobilier…

 

Dominique Vergnon

Nathalie Bondil et Sylvain Cordier (Sous la direction de), Napoléon, la maison de l’Empereur, 25x32 cm, 380 illustrations, édition Musée des Beaux-Arts Montréal - Hazan, janvier 2018, 352 pages, 45 euros.

Ce catalogue accompagne l’exposition qui vient de débuter à Montréal et sera présentée au château de Fontainebleau du 5 avril au 15juillet 2019

 

 

 

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