"Le Grand jeu de dupes : Staline et l'invasion allemande"

22 juin 1941. Hitler lance ses troupes dans sa tentative d’invasion de l’URSS. Pourtant, deux ans auparavant avait été signé le pacte germano-soviétique, prévoyant une politique de non-agression et de coopération économique. Un accord qui avait surpris l’ensemble de la planète, déconcerté les communistes de tous les pays, accablé les Français et les Anglais qui espéraient bien voir Hitler se jeter d’abord sur les territoires à l’Est de l’Allemagne. Entre temps, Hitler s’était emparé de la quasi-intégralité de l’Europe de l’Ouest. Le tour de l’URSS allait venir. Des quatre coins du monde arrivèrent des avertissements. Staline les ignora jusqu’au bout.  


"Tempus" nous livre enfin en poche cet ouvrage de Gorodetsky dont la publication en 2000 avait fait l’effet d’une petite bombe dans le milieu des historiens. Contrairement à ce qu’indique l’éditeur, la thèse de Gorodetsky n’a rien de bien novateur. Seuls quelques historiens russes nostalgiques de la période soviétique osent encore prétendre que Staline était un grand stratège et qu’il avait tout prévu. Il est de notoriété publique que Staline s’était fait avoir dans les grandes largeurs : n’importe quel livre d’histoire fait état de l’erreur de Staline dans ses calculs et du désastre militaire que fut Barbarossa pour les Russes. De ce point de vue, Gorodetsky ne fait que décrire de manière très précise le flot des informations qui arrivait de par le monde entre les mains d’un Staline qui préférait y voir des mensonges, ainsi que l’impact de la désinformation pratiquée par les plus hautes instances nazies pour induire les Russes et les Anglais en erreur. 

Mais ça n’est pas en cela que l’ouvrage de Gorodetsky présente un véritable intérêt. Archives soviétiques inédites à l’appui, l’historien dresse une incroyable fresque de ce que furent les relations diplomatiques de tous les pays d’Europe pendant ces deux années. De Berlin à Moscou, bien sûr, mais aussi de Londres à Ankara en passant par Sofia, Helsinki, Stockholm, Paris, Rome et Madrid. Gorodetsky met bien en évidence les conflits d’intérêts qui parasitaient « l’entente » entre l’Allemagne nazie et l’URSS, rappelant notamment le rôle essentiel mais peu connu des Balkans dans cette tragédie. L’auteur passe en revue les divergences d’opinion qui opposaient non seulement Staline à Churchill mais aussi Churchill à ses propres collaborateurs comme Cripps ou Eden, les rumeurs de guerre et de paix séparées qui émergent dans chacun des pays, brouillant un peu plus les cartes au fur et à mesure que les mois passaient et que la menace se rapprochait, mais aussi les tentatives de préparations de généraux russes qui étaient conscients du terrible danger et cherchaient à préparer le pays sans froisser Staline… 

Si cette reconstitution des évènements relève du miracle tant cela constituait un travail de titan, on peut néanmoins reprocher quelques partis pris de l’historien qui semblent fort douteux. En effet, s’il paraît évident que Staline jouait la carte du pragmatisme de manière systématique, il semble nettement moins sûr, comme l’affirme Gorodetsky, que l’invasion de l’URSS par l’Allemagne n’ait été guidée que par des intérêts géopolitiques bien précis. Evacuer tout le contenu idéologique de l’entreprise hitlérienne semble pour le moins fantaisiste. Convaincante sur l’attitude de l’URSS, Gorodetsky voit sa thèse perdre en force quand il s’agit d’analyser celle de l’Allemagne. Pour autant, Le Grand Jeu de Dupes reste un ouvrage indispensable pour toute personne passionnée par la période. 


Matthieu Buge


Gabriel Gorodetsky, Le Grand jeu de dupes, traduit de l’anglais par I. Rozenbaumas, Perrin, « Tempus », mars 2011, 723 pages, 12 € 



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