Ces dernières années, Patrick Cabanel, directeur d’études à l’école pratique des hautes études,  s’est imposé comme le spécialiste du protestantisme français, notamment avec Les protestants et la République (Complexe, 2000) et son Histoire des protestants (Fayard 2012). Au cœur de son œuvre on trouve  une question simple : comment une minorité a-t-elle pu jouer un rôle aussi important dans l’histoire de son pays ? Car si les protestants français représentent entre 2 et 5% de la population, leur rôle au sein de la République, surtout à ses débuts, fut crucial. Ici, De la paix aux résistances se propose de revenir sur le rôle joué par les protestants durant la période trouble des années noires.

Une minorité au premier plan

Patrick Cabanel commence par revenir sur les années 30 et démontre que les protestants français furent très rapidement au courant des persécutions nazies via leurs liens avec leurs coreligionnaires  allemands, au sein de l’église confessante, et suisses. Le théologien suisse Karl Barth a par exemple pris très tôt une position antinazie qui fut diffusée largement en France. Mais toute minorité a ses débats : la bourgeoisie protestante se montra largement munichoise et antibolchevique et le pacifisme imprégnait les consciences. D’où, après la débâcle de 1940, des itinéraires parfois singuliers tels celui de René Guillouin, qui participa au gouvernement de Vichy et conseilla Pétain. Le pasteur Marc Boegner, président de la fédération protestante, eut aussi ses illusions sur le régime, dont il approuvait certaines orientations moralistes, et tenta d’influencer Pétain sur la question juive, sans succès.

Le rôle de la mémoire huguenote

Cabanel étudie longuement et avec précision les réseaux mis en place, notamment par la CIMADE, pour venir en aide dès 1940 aux juifs chassés par le Reich et internés dans des conditions très difficiles dans des camps du sud de la France. Les persécutions et les déportations incitent les protestants à aller plus loin et à cacher massivement les juifs, français ou étrangers, dans les Cévennes et dans le Gard, voire à en faire passer en Suisse en se servant de leurs réseaux. Massivement, les protestants français ont désapprouvé la politique antisémite de Pétain, qui leur rappelait les persécutions qu’ils avaient eux-mêmes subis après la révocation de l’édit de Nantes. Ce qui explique la proportion élevée de J protestants français parmi les Justes. Voici donc une très bonne synthèse, un futur ouvrage de référence pour l’étudiant et aussi l’amateur d’histoire contemporaine.

Sylvain Bonnet

Patrick Cabanel, De la paix aux résistances – les protestants en France 1930-1945, Fayard, octobre 2015, 432 pages, 23 €