Achille, sa colère et moi

A l'occasion de la parution de La Colère d'Achille, rencontre avec Charles Ficat, romancier et éditeur, pour comprendre son attachement à la figure du héros dans notre époque qui le déconsidère tant

D'où vous vient ce long monologue d'un Achille aux enfers se remémorant sa vie ? était-ce le moyen de romancer la biographie de ce personnage antique après avoir consacré un essai biographique à Rimbaud ?

Charles Ficat. Dans l’Iliade, après la fameuse scène de la colère, Achille se retire dans sa tente, saisit sa cithare et chante les exploits des héros. Le guerrier se fait poète et célèbre les hauts faits d’armes, parce que les vies sont aussi des œuvres. Lorsqu’Ulysse descend aux Enfers, il rencontre Achille qui se lamente et regrette la vie : « Ne cherche pas à m’adoucir la mort, ô noble Ulysse ! / J’aimerais mieux être sur terre domestique d’un paysan, / fût-il sans patrimoine et presque sans ressources, / que de régner ici parmi les ombres consumées… »

Je l’ai imaginé tel un Orphée mortel se célébrant lui-même pour tuer l’ennui qui le ronge. Voilà longtemps qu’il n’y avait eu de poème achilléen. Ce roman rappelle la la force du mythe dans son ensemble au-delà des seules œuvres homériques.

L’essai sur Rimbaud (1), thématique, explorait avant tout une œuvre somptueuse et fragile dans ses mille éclats. La Colère d’Achille exalte la vie à partir du récit d’une vie, de sa conception à sa fin, brutale dans le dénouement.

Pourquoi Achille ? qu'est-ce qui vous ressemble ou vous attire en lui ?

Charles Ficat. Achille rejoint nombre de mes préoccupations : la jeunesse foudroyée, la révolte contre les élites, la guerre, la poésie, la beauté et la force du corps. S’intéresser à lui revient à rejoindre l’aube de l’humanité. Son caractère représente un modèle humain au même titre qu’Ajax, Ulysse ou Hector. Toute époque réinvente les mythes. J’ai voulu saisir Achille dans sa puissance et son intensité.

Dans votre roman, Achille est mû et survit dans l'éternité par la colère. Ne peut-on pas, comme Sisyphe, imaginer Achille heureux ?

Charles Ficat. Le témoignage si précieux d’Homère le confirme triste et dépité dans l’Hadès. Son insatiable appétit de vie engendre une frustration sans fin. Il se complaît  seulement dans l’excès. La mort venue, le « trop » dont il se nourrissait devient impossible. Achille ne connaît pas les « frontières » de l’humain, délimitées par Goethe dans un de ses poèmes.

Boojum. Vous écrivez : « [La colère] nourrit le désespoir  et fait renaître l'homme à lui-même. »  c'est un credo ? 

Charles Ficat. La colère n’est pas toujours bonne, mais elle est nécessaire : elle ne peut pas ne pas être, puisqu’elle était au commencement de la littérature du VIIIe siècle avant J-C : « Chante, déesse, la colère d’Achille, le fils de Pélée… » Il faut compter avec elle et la retourner en rédemption. La colère est une épreuve et une rédemption.

Vous comparez les Myrmidons - les soldats d'Achille - aux fourmis, de façon élogieuse. Une marotte, les fourmis ?

Charles Ficat. Une tendresse particulière m’incline vers les fourmis, dont j’admire le courage, l’ardeur, l’indestructible longévité : le plus ancien insecte de l’Univers (2). A Hiroshima, elles ont survécu au bombardement nucléaire. Les fourmis traversent la littérature. Par une fable, La Fontaine a porté un rude coup à leur réputation, mais son jugement ne le mène pas toujours à en faire une représentante de l’esprit petit-bourgeois. Quant aux Myrmidons, ils sont d’immenses guerriers.

Sur des personnages clés de l'histoire, vous portez via Achille un jugement très dur, notamment sur Agamemnon. Pourquoi cette sévérité ?

Charles Ficat. Attaquer Agamemnon, c’était insister sur le déchirement qui consiste à appartenir à un camp, dont on méprise les chefs. Le titre reprend le terme de « colère ». C’était une façon de le justifier au regard de la vie d’Achille qui compte aussi d’autres épisodes importants : l’éducation du centaure Chiron, l’appel de Skyros, la fin de Penthésilée. Agamemnon incarne le symbole contemporain et éternel de la figure avide de son pouvoir qui méprise les êtres exceptionnels.


Vous montrez un Achille tendre et poète qui part à la guerre pour obéir aux Dieux et à son destin. La guerre, ses batailles et ses décideurs sont maltraités, sauf quelques héros qui combattent. Vous avez fait un roman pacifiste ?

Charles Ficat. Vue par Eschyle ou Aristophane, la guerre est un malheur immense. Achille lutte par devoir et pour la gloire selon son humeur. La paix est aussi un combat. La colère d’Achille est enfin une quête de la paix intérieure, avec ses vertus apaisantes et lumineuses.

Propos recueillis par Loïc Di Stefano
septembre 2006

(1) Rimbaud
(2) fourmis 

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