Les cigales de Jean Giono...

Se voulant pourtant enchanteurs, combien d’articles, éditoriaux ou reportages aussi stupides qu’insipides ne nous ont-ils pas déjà seriné, commençant tous à peu près ainsi : Au pays de Jean Giono où le chant des cigales…
En voilà donc un de plus me direz-vous ! Certes, mais la similitude s’arrête ici même, je vous rassure, n’ayant pas tiré la suite de cette nouvelle courte chronique à ce diabolique tonneau d'où nombre de journaleux abreuvent régulièrement jusqu’à plus soif touristes et autres lecteurs en tout genre pour finalement ne leur vendre, rien d’autre, qu’encore un peu plus de papier journal…

C’est qu’un hebdomadaire local titrant récemment Anthologie de la cigale : pas de cigale chez Jean Giono ! m’a aussitôt mis la plume à l’encrier, si je puis écrire depuis le clavier de mon ordinateur ; car j’en avais autrefois repéré une – évoquée deux fois à la file en seulement quelques lignes – au beau mitan d’Un de Baumugnes (page 242 du volume I de La Pléiade) : Voilà que, vers les midi, une chèvre débouche du tournant, puis deux, puis cinq avec deux chevreaux et un petit gars haut comme ça qui marchait en baissant la tête, occupé à gratter le ventre d’une cigale.
Et sur la page suivante : Oui , qu’il fait encore, en serrant la cigale dans son poing.
Il n’est, je crois, pas superflu de rappeler ici combien l’écrivain manosquin abominait certaines représentations d’une certaine Provence ; autant dire, nombreuses, toutes celles, avant tout folkloriques au plus mauvais sens du terme, craignant sans nul doute et par-dessus tout de s’y trouver bien malgré lui plus ou moins associé dans la presse et, entre autres, sur les cartes postales à pimpants moulins à vent, par exemple, à blagounettes et à champs de lavande, en fleur forcément ; tout cela servi en éternelle ritournelle frottée d'ail et d'accent (grassement marseillais de préférence)…
Et la pauvre cigale étant devenue – elle aussi malgré elle, somme toute ! – emblématique de cette Provence-là bel et bien en trompe-l’œil, elle ne pouvait que se trouver toute désignée à ses yeux pour être sacrifiée, sans façon et sans remord aucun, en victime expiatoire, n’est-ce pas, sur l’autel de son œuvre littéraire afin qu'elle ne lui porte pas, non plus, ombrage tout en haut sous un tout autre soleil car celui-là... parisien !
C’est ainsi que dans l’un de ses entretiens radiophoniques avec Jean Amrouche, Giono affirme, droit dans ses bottes, qu’il n’y a pas la moindre page où le nom de cet insecte apparaît en ses 36 romans ! Qu’il s’y est appliqué.
N’empêche, le mot cigale étant, il est vrai, d'autant plus rare et discret en ses pages qu’elles sont en réalité innombrables et stridulantes un peu partout en territoire de haute comme de basse Provence, ses ouvrages en recèlent néanmoins quelques-unes de tout à fait bon aloi, authentiques !
En dehors de celle que j’avais dénichée dans la main du petit chevrier et que, trop fier de ma trouvaille, je croyais déjà unique dans toute l’œuvre, il s’en trouve bien quelques autres qui, plus fortes et plus malines que Giono, lui ont donc échappées de la plume pour ainsi dire devenir immortelles.
En effet, bien plus attentifs que moi, d’autres lecteurs en ont aussi repéré (je ne l'apprends qu'aujourd'hui seulement) une dans Colline (I, page 214), une autre encore dans Le grand troupeau (I, page 556), ainsi que dans les Notes sur l’affaire Dominici (Journal, poèmes, essais, page 708) et dans le Poème de l’olive (Récits et essais, page 5).
Ce qui porte quand même leur nombre à cinq ou six…
Mais cela… sur finalement des milliers de pages !

André Lombard

Robert Aimino, Anthologie de la cigale, Éditions de La Fenestrelle, juin 2023, 150 p.-, 20€

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