Max Porter : La douleur porte un costume de plumes
La sélection des meilleurs livres de la rentrée littéraire de janvier 2016
Genre : premier roman
Première impression : Bon titre, assez intriguant. Inconnu en France, l’auteur est éditeur en Angleterre, chez Granta. Les éditeurs qui osent publier des romans sont en général de bons auteurs. Ils connaissent les ficelles du métier. Ils baillent suffisamment d’ennui lorsqu’ils lisent de mauvais manuscrits. Parfois, ils sont inspirés.
Le pitch : Dans l’ex maison du bonheur un homme survit avec ses deux jeunes fils, après la mort accidentelle de leur mère. Roman à plusieurs voix. Celle du père, le point de vue des enfants, etc.
Un corbeau – cet oiseau de malheur – sera leur invité, un confident un peu collant. Soit le deuil, versus l’imaginaire. L’écrivain et la mort.
Les petits et grands maux du deuil. Les mots pour vaincre le deuil.
Prise en main : Livre facile à glisser dans une poche. Caractères agréables.
Quatrième de couverture : Une mère meurt. Elle laisse derrière elle deux petits garçons et leur père ravagés de chagrin. Surgit un soir dans leur appartement londonien un étrange personnage : un corbeau, doué non seulement de parole mais d'une verve enfiévrée, d'une audace surprenante et d'un sens de l'humour ravageur. Qu'il soit chimère ou bien réel, cet oiseau de malheur s'est donné une mission : accompagner les trois âmes en péril jusqu'à ce que la blessure de la perte, à défaut de se refermer, guérisse assez pour que la soif de vivre reprenne le dessus. Des pages déchirantes succèdent à des scènes hilarantes dans cette fable moderne à mi-chemin entre la novella, le poème en prose et la pièce de théâtre. La douleur porte un costume de plumes est un tour de force littéraire unique en son genre qui nous rappelle que la puissance des mots suffit à elle seule à évoquer, et susciter, une déferlante d'émotions profondément universelles.
Première phrase : Quatre ou cinq jours après sa mort, j’étais seul dans le salon à me demander que faire.
La page 30 (Pourquoi la page 30 ? Et pourquoi pas ? Elle donne une idée assez précise de la « voix » de l’auteur. Elle révèle donc un style et crée – ou pas – le désir de poursuivre…) :
Papa
On ne se disputera plus jamais, finies nos scènes
brèves et adorables, avec leur modèle prêt à l’emploi.
La dentelle délicate de nos chamailleries.
La maison devient une encyclopédie d’elle sans elle, ça n’en finit pas de me secouer et c’est la principale différence notre maison et celles où la maladie a fait son œuvre. Pendant leur dernier jour
sur terre les malades ne laissent pas de mots sur les
bouteilles de vin rouge, disant « PAS TOUCHE AVEC TES SALES PATTES ». Elles ne passait pas son temps à
mourir, et il n’y a pas de détritus de soins, elle passait simplement son temps à vivre, et ensuite elle est partie.
Elle n’utilisera plus jamais son maquillage, le curcuma, sa brosse à cheveux, le dictionnaire.
Elle ne terminera jamais (son roman de Patricia
Highsmith, le beurre de cacahouètes, le baume à lèvres).
Et je n’irai plus lui dénicher des livres pour son
anniversaire
J’arrêterai de trouver ses cheveux
J’arrêterai de l’entendre respirer
La dernière phrase : Et les garçons étaient derrière moi, une digue de rires et de cris qui s’accrochait à mes jambes, trébuchant et se rattrapait, sautait, virevoltait, chavirait, rugissait, brillait, et les garçons ont crié
JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME
et leurs voix était la vie et le chant de leur mère.
Inachevé, magnifique, l’univers.
Conclusion : L’un des meilleurs romans de janvier. Aucun pathos, une vraie force narrative, une prose poétique. Une voix.
Annick Geille
© Photo : Lucy Dickens
Max Porter, La douleur porte un costume de plumes, Seuil, janvier 2016, 120 pages, 14,50 €
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