Olivier Frébourg - Un frère

La mort d’un proche est toujours choquante, bouleversante. D’autant plus quand le défunt est un frère, mort à 60 ans dans l’hôpital où il exerçait depuis toujours.
Hospitalisé à la suite d’une affection bénigne, le professeur Thierry Frébourg, généticien, spécialiste de la maladie d’Alzheimer a été victime d’une erreur médicale comme il s’en produit 400 000 par an. Le médecin dont la présence était obligatoire pour le retrait d’un cathéter était absent, l’infirmière qui a procédé à l’intervention banale, n’a pas respecté le protocole. Des bulles d’air sont entrées dans le sang du malade, provoquant une embolie pulmonaire fatale. 
En ce vendredi soir de mars 2021 où la plupart des médecins sont partis en week-end, le C.H.U de Rouen est une cathédrale qui se vide de ses prêtres et de ses servants. Le peuple des soignants se retire, comme la marée autour du Mont-Saint-Michel. Seules quelques vigies en blouse blanche demeurent, répondant aux urgences.
Au chagrin, à la sidération se mêle le désir de savoir ce qui est advenu et très vite le narrateur, Olivier, frère du disparu, sa femme, Noëlle, médecin dans le même hôpital ont des doutes. Au silence embarrassé des premiers jours s’ajoute la confusion des explications des responsables, de la hiérarchie. 
L’auteur note dès les premières lignes de son livre : Il est des morts particulièrement symboliques, qui révèlent l’état du monde ; Un professeur de médecine emmené à la mort par la main de son propre hôpital, c’est une parabole de l’effondrement de notre maison commune, l’hôpital public. 
Le trépas de Thierry Frébourg résonne comme un symbole du délitement du secteur de la santé que bien des familles ressentent un jour ou l’autre quand elles se retrouvent face à la maladie ou aux attaques de l’âge.
Si Frère unique est un réquisitoire contre les manquements de certains praticiens, de certains services, il est aussi et surtout le magnifique portrait d’un homme droit, intègre, doué de tous les talents, d’un frère merveilleux ; le récit d’une complicité absolue, jamais prise en défaut.
L’enfance au goût de paradis se déroule en Martinique entre ciel et mer sur Antilles, le bateau commandé par le père ou  dans leur villa des Rochers : Tout est splendidement illuminé au royaume des dieux de la mer.
À l’allégresse des trente glorieuses se superposent l’entente parfaite entre parents et enfants, le formidable optimisme de tous. La vie est une fête, demain sera encore plus merveilleux qu’aujourd’hui : Si je devais garder une seule diapositive de notre séjour aux Antilles, ce serait celle d’une explosion de joie.
L’adolescence n’est pas moins magique en Normandie avec les vélos demi-course, les escapades à l’Alpe d’Huez, l’hiver. Les abords de l’âge adulte malgré les branches radicalement différentes qu’ils empruntent, la médecine pour l’aîné, les lettres pour le cadet renforcent encore leur attachement. Jamais les deux frères ne se fâchent, chaque réussite de l’un fait la joie sincère de l’autre.
Entre musique et voyages, travail et amours, l’affection des Frébourg semble un cas d’école évoqué avec une infinie sensibilité, une grande nostalgie par Olivier, brillant éditeur et auteur.
Les deux responsables de la tragédie de Rouen ont été sanctionnés, l’un d’un blâme, l’autre d’une interdiction d’exercer de quelques mois. Bien piètre consolation pour la famille et celui qui a perdu le Frère unique, le héros classique, mort d’une tragédie moderne, à qui il a édifié avec ce livre le plus beau tombeau de papier qui soit.  

Brigit Bontour

Olivier Frébourg, Frère unique, Le Mercure de France, octobre 2023, 201 p.-, 19,80 €

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