La tendresse-bordel : Jules Pacsin

Parmi les peintres de l'École de Paris, Pascin occupe une place à part, son art s'impose par sa vérité expressive et sa douceur mélancolique. Elle décrit avec tendresse  le monde interlope des filles dites de joie, à l'aide de touches légères aux couleurs irisées (gris , rose, ocre, bleu-violacé). Les corps alanguis aux formes estompées dégagent un lourd parfum d'érotisme. Saisies dans leur intimité ils représentent de fait une sorte de miroir du mal de vivre du peintre. Il trouve à travers eux une sorte d’exutoire même s’il peut apparaître comme un petit maître continuateur - mais  sans complaisance - des  peintres libertins du XVIII siècle. Illustrateur de nombreux livres dont ceux de Morand ou de Mac Orland, il finira, comme Modigliani, par souffrir de ne pas trouver à travers ses motifs l’épanouissement de la puissance de sa peinture, puissance qu’il dilapide dans les fêtes, l’alcool,  bref la fuite.


Il finit par ne plus supporter sa propre peinture : « Je suis un maquereau, j’en ai marre d’être un proxénète de la peinture » dit-il en ajoutant encore : « Je n’ai plus aucune ambition, aucun orgueil d’artiste, je me fous de l’argent, j’ai trop mesuré l’inutilité de tout ». Ce sont là les derniers mots de sa dernière lettre à Lucy. Pourtant il existe dans son art du portrait une puissance capable de donner à voir une vérité qui n'est pas d'apparence mais d'incorporation. Le corps des femmes dites légères est  plus dans qu'à l'image. Le portrait laisse éclater ses masques pour plonger vers l'opacité révélée d'un règne énigmatique. Le dedans se fraye une issue à travers les fissures des lignes. L'image devient concrétion, concaténation comme si le dehors à la fois s’incrustait dans la chair et rebondissait sur sa peau en de longues vibrations de lumière. Surgit l’ajour d’une existence prisonnière par l’éclat diffracté de son immense évasion.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

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