Gaston d'Orléans, Baroque et libéral ?

Un spécialiste de la période


Les amateurs d’histoire moderne (au rang desquels nombre de ses anciens étudiants, n’en doutons pas) connaissent le travail de Jean-Marie Constant grâce à son ouvrage brillant et synthétique sur la Ligue catholique. Plus récemment, il a livré une excellente biographie d’Henri IV : rien de plus normal qu’il s’intéresse au fils cadet de ce dernier, Gaston d’Orléans, figure au destin pour le moins contrasté et qui a rejoint le théâtre d’ombres des seconds rôles de l’Histoire. Une biographie singulière qui vient prolonger le chantier de réflexion ouvert dans un autre ouvrage de Jean-Marie Constant, la folle liberté des baroques, car Gaston fut un prince baroque, grand lecteur de l’Astrée d’Honoré d’Urfé, chef d’œuvre qui fut aux jeunes nobles du 17ème siècle ce que fut le Télémaque de Fénelon pour leurs descendants du 18ème : une œuvre matricielle, formatrice des esprits.

 

Une figure singulière


Pour comprendre ce prince qui, comme la plupart des cadets des familles royales, a vécu dans l’ombre de son aîné de roi sans accéder au trône – il s’en fallut de peu vu la mauvaise santé de Louis XIII et l’absence d’héritier jusqu’à la naissance du futur Louis XIV -, Jean-Marie Constant a choisi un angle de lecture plutôt original. Il fait de Gaston le champion d’une autre voie, celle d’une monarchie limitée et respectueuse des corps intermédiaires, opposé à l’approche absolutiste de son frère et de Richelieu. En héraut des libertés aristocratiques, Gaston revendiqua sa liberté en se rebellant plusieurs fois contre son frère mais aussi en se mariant avec une princesse de Lorraine sans le consentement du roi. Adversaire résolu de Richelieu, il mit cependant du temps à comprendre les conséquences de la journée des Dupes qui écarte du pouvoir sa mère dont, comme son frère, il supportait mal la tutelle, mais qui marque aussi le triomphe du parti de la guerre.


Gaston d’Orléans était un proche du parti dévot dont des générations d’historiens ont retenu les sympathies espagnoles et le catholicisme intransigeant. Les dévots étaient aussi partisans de réformes et de la modernisation du pays. Leur priorité, c’était de résoudre les problèmes intérieurs et donc de rechercher l’entente avec les Habsbourg. Le parti de la guerre, dont Richelieu prit la tête, mettait lui l’accent sur la confrontation avec l’Espagne et la lutte pour l’hégémonie européenne, prenant ainsi le risque d’aggraver les problèmes intérieurs par une très forte pression fiscale sur le peuple. Et Jean-Marie Constant fait ainsi de Gaston, baroque et fervent croyant, le défenseur des plus pauvres, le pacificateur par excellence. C’est aussi un des mérites de cet ouvrage de nous faire comprendre les débats qui traversaient les élites dirigeantes sous Louis XIII.


Le frondeur, lointain ancêtre de la démocratie chrétienne ?


L’éternel rebelle fut écarté de la succession, on l’a vu, par la naissance de Louis XIV mais devint  cependant lieutenant-général du royaume. Courageux, il se battit sur les champs de bataille et remporta plusieurs victoires contre les espagnols, ses anciens alliés. Fin politique, il temporisa avec le parlement de Paris et gagna un temps précieux pour la régente et le jeune roi lors des débuts de la Fronde. Loyal, bien que comprenant la révolte de certains nobles, il refusa de prendre leur tête contre le roi et son silence fut certainement une chance pour le futur Roi-Soleil. Aux affaires, Gaston ne put cependant défaire la monarchie absolutiste mise en place par Richelieu ; tout au plus réussit-il à arrondir les angles. Constant offre ainsi une approche libérale d’un prince méconnu dont il fait en fin d’ouvrage un lointain ancêtre des démocrates-chrétiens, sans craindre l’anachronisme… Notre auteur réussit en tout cas à faire revivre un Bourbon attachant, digne par son envergue d’être comparé à un « autre Orléans » - le Régent - et dont la sensibilité baroque donne envie de relire Saint-Amant et de découvrir l’Astrée.


Comme beaucoup de cadets, Gaston d’Orléans n’eut finalement pas la vie à laquelle il aurait pu prétendre. Cette biographie de Jean-Marie Constant a le grand mérite de le sortir de l’oubli.

 

Sylvain Bonnet

Jean-Marie Constant, Gaston d’Orléans prince de la liberté, Perrin, Février 2013, 444 pages, 24 €

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