Du sceptre à la plume : que d'encre, que d'encre

Puisque le président Macron, comédien narcissique haut perché, assume et célèbre l’enterrement du pacte ancestral entre les Lettres et le politique, Bruno de Cessole pouvait enfin établir la chronologie de notre Histoire, tenant désormais un début et une fin. De Montaigne à Mitterrand, que retenir des rapports consanguins entre la littérature et le pouvoir politique ?
Tout d’abord, l’évolution positive du statut et de l’image de l’auteur, troquant peu à peu une position ambiguë et subalterne pour une situation d’abord honorable puis digne  d’envie. Du XVIe siècle où l’auteur dépend des libéralités d’un mécène au XIXe et XXe siècle où il peut vivre grassement de sa plume, l’évolution est spectaculaire… C’est donc avec Michel de Montaigne que les Lettres apparaissent sous leur double vocation : à la fois comme vecteur d’une ambition politique et séculière, et comme deuil éclatant d’espoirs politiques déçus. Il faudra attendre Giscard d’Estaing et Mitterrand pour voir apparaître la double identité revendiquée de chef d’État et d’homme de lettres – ce qu’étaient Clemenceau, le Général et Malraux, mais avec quelques différences.
Le travail minutieux de Bruno de Cessole nous permet un voyage au grand large dans les turbulences de l’Histoire où l’on apprend moult détails sur les parcours romanesques de Mirabeau et Lamartine, les forces de caractère de Richelieu (Beaucoup de qualités sont requises pour faire un conseiller parfait. On les peut néanmoins réduire à quatre, savoir à la capacité, à la fidélité, au courage et à l’application, qui en comprennent plusieurs autres) et Napoléon, des hommes malheureusement remplacés par des gestionnaires idolâtres des fichiers Excel… avec les résultats que l’on connaît. La culture, la littérature, l’art ne paraissent plus désormais que comme des accessoires d’une panoplie désuète à oublier au fond d’un placard. Et pourtant, si vous saviez…
Justement, c’est là tout l’enjeu de ce livre majeur. Pour mieux appréhender l’Histoire, cette autre leçon des Ténèbres, il faut se plonger dans la culture de notre pays. Et ainsi admettre les jeux de nuances qui démontent les légendes. Si Louis XIV fut un grand roi, et prolixe écrivain, il avait aussi en face de lui Saint-Simon – le plus grand peintre de son siècle (Sainte-Beuve) – qui ne manquait jamais d’envoyer une pique – notamment sa tirade sur les trois premiers rois Bourbons –, se positionnant comme le plus stupéfiant écrivain de la littérature française, l’ultime défenseur de la société d’ordres contre la société de classes à laquelle Louis XIV frayait la voie. Candide démarche ? Certes, mais indispensable pour préserver un semblant d’équilibre…
Viendront d’autres pétulants scribes, comme Sieyès dont la sortie sur le tiers état (130 pages tirées à des dizaines de milliers d’exemplaires) alluma les mèches de la Révolution : cet abbé revanchard – à cause d’une vocation forcée – devint député et porta haut le courage de ses opinions.
Et que dire de Gabriel de Mirabeau, "comte de la Bourrasque", le trublion d’Aix-en-Provence, écrivain à scandales dont les quinze premières années ne furent que tribulations et chaos au sein d’une existence aussi torrentielle que la Durance, et qui parvint à se métamorphoser en idole du peuple, oui quel roman que ma vie ! S’en suivirent les défis entre Chateaubriand et Napoléon pour savoir… qui serait le plus grand écrivain du XIXe siècle (sic). Le temps trancha, mais les mémoires oublièrent bien vite que si l’écrivain fit de l’ombre à l’empereur, ce dernier lui fut largement supérieur dans le monde politique. Chateaubriand ne savait pas sur quel pied danser, ses prétentions politiques ne l’empêchèrent point de continuer à défendre des principes tout en ayant un comportement aberrant. Autant dire qu’il sacrifia sa carrière pour un bon mot.
Ce que reprit à son compte bien plus tard Clemenceau (Ne craignez jamais de vous faire des ennemis ; si vous n’en avez pas, c’est que vous n’avez rien fait), le Tigre n’épargnant personne, mais, autre temps autre mœurs – et surtout le pragmatisme imposé par la guerre supplantant tous les états d’âme – son parcours politique fut tout autre… Et sa sortie toute contemporaine : En politique on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables.
Vite, un envoi spontané à l’Élysée.

François Xavier

Bruno de Cessole, Le sceptre et la plume, Perrin, août 2023, 592 p.-, 26€

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