La vision d’André Masson

En 2019, le musée de Céret nous avait montré une exceptionnelle rétrospective de l’œuvre d’André Masson qui incitait à aller découvrir toutes les palettes de ce peintre hallucinant. Cette année c’est le Centre Pompidou Metz qui présente plus de 200 œuvres jusqu’au 2 septembre 2024.
Pionnier en son domaine mais oublié par le truchement d’une règle de marché qui aime trop se concentrer sur un seul nom, et Picasso commençait déjà à rassembler les suffrages, d’autant que ses marchands verrouillaient l’espace. Ainsi Masson fut-il délaissé au point que ce fut, une fois encore, aux USA que la reconnaissance s’imprima, avant un timide retour en France, mais la valeur marchande jamais n’atteignit sa juste estimation…
Mais assez parlé chiffons, voyons plus haut, et qui mieux qu’un poète – et quel poète ! – pour nous éclairer sur la spiritualité et l’esprit qui hantaient André Masson, un temps surréaliste, puis non, figuratif lyrique, puis non, abstrait, puis non, bref, inclassable car unique. Sa technique, tout d’abord, une gestuelle automatique – comme le pratiquaient les écrivains surréalistes – pour produire des signes et des formes d’où débouche une épaisseur organique, laquelle mixe l’un dans l’autre le concept et l’image, de manière à ce que le tableau exprime une idée spontanée (sexuelle) et pensante.

D’où la force inégalée des Mythologies, des dessins érotiques et des drippings (dont s’inspirera Pollock), qui traduisent à vif des impulsions obscures et les réfléchissent. Puis le regard, l'approche spirituelle qui incitera Michel Leiris, plus tard, à évoquer le phénomène de tangence, ce qui nous jette dans l’infini. Car, nous l’explique si bien Bernard Noël, André Masson ne représente pas : il dépose de l’animé. En effet, la couleur irradie, la ligne insuffle des pulsations qui nous transporte : on ne peut rester un simple spectateur…
C’est là la marque des très grands : tous les vrais tableaux possèdent en eux ce petit-plus qui, par une charge d’émotion ou de sens, nous fait percevoir au fond de leur matière le tremblement de la pensée, la puissance du destin, l’implacable force de la beauté révélée.

Il faut que la main soit assez rapide pour que la pensée consciente ne puisse intervenir et commander au geste. Car le geste doit être absolument libre, sans a priori, sans aucun esprit critique. Seule la main agit, et comme l’a écrit Breton, elle devient aile.
André Masson, Vagabond du surréalisme, 1975

En effet, André Masson pratique une provocation dont la vertu cardinale est de décaper la perception, mais avec sagesse il ne s’en sert jamais pour exhiber ni pour séduire, ce qui fera dire à Breton qu’il agence convulsivement des corps : leur merveilleuse rixe ne relevant cependant de l’érotisme que, faute d’un autre mort, du fait que la bestialité n’y est pas sublimée. Car la pornographie n’est rien d’autre qu’une entreprise désespérée si l’on n’en fait pas, comme Sade, l’arme du désespoir le plus raisonnable. La peinture, qui peut se permettre de ne point montrer le sexe pour rendre sensible la sensualité, n’a qu’à déboutonner le manteau moraliste. Ce dont nous avons grand besoin ces temps-ci...

François Xavier

Bernard Noël, Là, il y aura oracle – Pour André Masson, préface de Michel Surya, 40 illustrations N&B, 115x160, coll. Studiolo, L’Atelier contemporain, avril 2024, 256 p.-, 9,50 €

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