Dialogues de peintres

Matisse a bel et bien vendu la bague de fiançailles de sa femme pour acheter, chez Vollard, ces Trois Baigneuses de Cézanne dont il s'accompagnera pendant des décennies, accrochées bien en vue dans son atelier.
Et Picasso ne s’est-il pas lui-même inspiré des Grandes Baigneuses vues au Salon d’automne de 1907 pour peindre Les Demoiselles d’Avignon ?
Ce que l’on sait moins, et même en fait pas encore, c’est qu’il a aussi – en 1969, il ne lui restait alors plus que quatre années à vivre – punaisé près de lui dans son tout dernier atelier en fervent hommage d'admiration privée, l'affiche de l'exposition Serge Fiorio représentant un Manège que madame Duclaud, directrice de la Galerie 65, à Cannes, sur La Croisette, venait tout juste d’offrir à son jardinier.
Jardinier qu’elle vit rappliquer dès le lendemain pour lui en réclamer une autre, déclarant tout de go et tout marri comme un enfant que l’on vient d’injustement punir : Madame, hier soir Picasso m'a volé mon affiche !
À propos de laquelle, des décennies plus tard, Claude-Henri Rocquet écrira ceci :

C'est à Lucien Clergue, ami commun à Picasso et Fiorio, que revint la bonne fortune d'en faire la découverte en si bonne place dans l'atelier de Notre-Dame de Vie ; sans avoir eu, hélas, la présence d'esprit de l'y photographier.
Il est bien connu que Picasso aimait librement se servir des œuvres des autres pour finalement, avec le génial talent qui lui était propre, les interpréter à sa manière, c'est-à-dire peindre sur la peinture.
Aussi, peut-être bien qu'au détour des pages d'un catalogue de vente ou à l'occasion d'une exposition (quoique les expositions Picasso vont, comme tant d'autres, se faire de plus en plus rares vus les tarifs pratiqués aujourd'hui par les assurances) nous découvrirons ici ou là, un jour ou l’autre, de sa main, un Manège ou un Cheval tout simplement, ayant un certain air de famille avec ce Fiorio-là. Ce qui serait et à la fois ne serait pas étonnant !
Sachant bien qu’en dehors de ses propres œuvres quasiment aucunes autres n’avaient les honneurs de son atelier, cela fit aussi écrire au regretté Claude-Henri Rocquet alors de retour d’un après-midi de l’automne 2010 passé à échanger avec Serge Fiorio, à Montjustin, dans son atelier :

Depuis toujours ou presque, mais surtout aux époques moderne et contemporaine, les exemples abondent, nombre de peintres aiment dialoguer avec d’autres à travers le temps et par-delà les distances par œuvres ou reproductions d’œuvres interposées. Ainsi entre Picasso et Fiorio cela eut lieu puisque, du côté Fiorio, ce qu'écrivit Claude-Henri Rocquet de mémoire est également bien vrai.

En effet, en contrepoint au Manège admiré en privé par Picasso, sur la paroi à proximité immédiate du chevalet, à l'endroit même qui fut longtemps la place de son premier Portrait de Giono, Serge Fiorio choisit, dans les années 70, d'installer en remplacement de ce dernier acquis par le musée Henri Rousseau de Laval, une très fidèle reproduction du Repas frugal,​ magistrale eau-forte de la période bleue, réalisée en 1904 – l'artiste ayant alors 23 ans – et représentant un couple de pauvres visiblement, lunaires – des saltimbanques ? – efflanqués, émaciés, accablés par la vie, attablés côte à côte devant une assiette vide, deux verres et une bouteille sombre. Tout cela épars sur fond de nappe froissée, un quignon de pain à la clé.

André Lombard

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