Éludant une lettre après l'autre le titre du livre, page par page, ce texte permet la fabrication, et sans doute, mais de manière corollaire, la destruction d'une poétique qui ne se contente plus d'écouter le roulement des galets dans sa mer.
Soudain murmurent  d'autres sons et se pratiquent d'autres sauts sémantiques et orthographiques si bien que d'un legs en disparition se retire une nouvelle richesse au sein d'une poésie lettriste et spatialiste d'un nouveau genre. Jaffeux est coutumier du fait et ici, il remet sa tournée.
Privés d'un de leur vocable, les mots tracent un sens inédit que nous rencontrons en les explorant du regard et de la gouverne si tant est que cette dernière accepte les nécessaires dérives qui font hennir les paroles resurgissant soudain d'un vent qui vient d'ailleurs. Ce qui porte en soi comme une absence ne pousse en rien le discours vers le silence mais lui donne par ce vide stratégique un germe jaillissant. Histoire de faire respirer de nouveau, le logos étreint le jour et la nuit emmêlés loin de l'afflux divin du sens et des lois chères à  Vaugelas. Ainsi handicapées les paroles gelées chères à Rabelais deviennent  des chevaux d'écume caracoleurs, puis tout à coup se cabrent jusqu'à la crête blanchissante du ressac de la dernière page
Jaffeux reste donc l’enfant roi rebelle de la poésie lançant de loin l’appel inexécutable par les pères et pairs déjà pris dans les branches enchevêtrées de la térébinthe rationnelle. Il nous faut donc un tel messager et surtout lorsque le vent desséchant qui monte du désert  envahit autant l'espace (pas seulement livresque) et le temps. À sa manière chaque lettre absente fixe ici le cri jeté par l’œil vacant sous le masque de craie des pages. Le noir et le rouge de leur graphie en extraient des étoiles aussi filées que filantes.

Jean-Paul Gavard-Perret

Philippe Jaffeux, Comment l'idée d'un titre suffit à décrire le sort d'un livre creux, Éditions Milagro, aout 2023, 116 p.-, 22€